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Murat voulait s’assurer une représentation diplomatique auprès de grandes puissances de l’étranger, accréditer des ambassadeurs à Pétersbourg et à Vienne. Napoléon mettait obstacle à ces relations qui pourraient devenir des connivences. Il voulait tenir le royaume inclus et renfermé dans l’Empire, n’admettait pas qu’il prît contact avec l’extérieur et se fit personnalité internationale. Sur les instances de Caroline, il avait promis de rétablir à Naples un ministre de France, à défaut d’un ambassadeur et à la place d’un simple chargé d’affaires ; le ministre nommé, le baron Durand, tardait à rejoindre son poste. Murat de son côté traitait le chargé d’affaires avec une froideur méprisante ; il ne voyait en lui qu’un agent subalterne d’inquisition et de réquisitions. Entre les deux gouvernemens, à propos de toutes les obligations à remplir par le royaume feudataire, à propos des infractions continuellement commises au blocus continental, une guerre de plume se poursuivait, s’envenimait, s’exacerbait, et comme tout se sait à la fin, comme les querelles des grands n’échappent jamais à la curiosité et à la malignité publiques, en mars 1811, le bruit se répandit que l’Empereur était si fâché contre Murat qu’il pensait à le détrôner, que le décret de réunion paraîtrait d’un jour à l’autre, que Naples allait s’absorber et s’engloutir dans l’Empire. Cette rumeur emplissait le royaume ; elle circulait en Europe et en France, d’autant plus que Murat, dans ses lettres à l’Empereur, parlait toujours de rendre sa couronne, de déposer un pouvoir qu’on lui rendait insupportable, de se décharger du fardeau.

Dans cette menace permanente de démission, était-il sincère ? Avec cette facilité des natures méridionales à se suggérer ce qu’elles veulent faire entendre aux autres, il est probable que Murat, à force de se répéter qu’il était le plus malheureux des rois, un roi au supplice, s’en était convaincu ; alors, mieux valait rentrer dans le rang que de conserver une supériorité avilie ; plutôt soldat et grand soldat que roi-esclave, voilà le thème où se complaisait amèrement son imagination surexcitée, aigrie. Ce qui par-dessus tout l’irrite, c’est que l’Empereur ne répond plus à ses lettres et lui oppose un énigmatique silence. Murat voudrait percer ce nuage et connaître son sort de la bouche même de celui qui en dispose. L’Empereur, auteur de ses maux, l’attire néanmoins comme un magnétique aimant ; il voudrait aller droit à lui et l’aborder, l’affronter. En ce même