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la pousser vers les frontières septentrionales de l’Allemagne. Si Murat veut guerroyer tout de suite, guerroyer en grand, c’est ailleurs qu’il doit se porter. Un voyage du roi Joseph à Paris, ses démêlés avec l’Empereur, son insuffisance reconnue, faisaient prévoir des changemens en Espagne ; on parlait d’y reconstituer un commandement général de nos troupes. Murat parut ambitionner cette fonction ; c’est de quoi sa femme le blâmait : « Je crains que l’arrivée de Joseph à Paris ne décide l’Empereur à l’envoyer en Espagne, et il me semble que tu t’exposes beaucoup à cela en paraissant désirer d’y aller faire la guerre. L’Empereur pourrait bien te prendre au mot dans ce moment. Je te conseille donc d’en moins parler et de l’arranger de manière que rien ne t’empêche de revenir à Naples après le baptême. »

Murat s’arrêta finalement à ce parti. Il obtint la permission de retourner à Naples et d’opposer ce démenti par le fait aux bruits d’une annexion à laquelle l’Empereur n’avait pas sérieusement songé. Même, l’Empereur fit sévèrement réprimander son ministre à Naples pour n’avoir pas tout de suite coupé court à ces rumeurs, pour avoir laissé mettre en doute la stabilité du gouvernement auprès duquel il représentait. Caroline respira ; quant à Murat, les inégalités de traitement subies en France, la persuasion où il était qu’on ne le ménageait qu’à raison de son utilité militaire, les procédés tour à tour durs et captieux de l’Empereur, les brusques alternatives et les saccades endurées le laissaient profondément irrité. Il revenait de Paris plus ulcéré qu’il n’y était allé. Dans cet état violent, lorsqu’il rentrait à Naples le 30 mai 1811, il se trouvait plus accessible aux suggestions du parti qui prétendait transformer ce soldat fidèle en roi révolté


ALBERT VANDAL.