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sera le souverain, non le protestant, qui deviendra, souvent à contre-cœur, persécuteur de l’Eglise : il persécutera sans passion, en croyant faire son devoir, au nom de la raison d’Etat telle qu’il la concevra ; il persécutera sans allégresse parce qu’il devra, à chaque étape nouvelle qu’il fera dans la voie du Culturkampf, vaincre toujours plus complètement sa vieille antipathie pour les nationaux-libéraux, pour ces « sortes de gens. »

Jeune encore, à l’âge où les princes, naïfs, croient avoir le droit d’aimer, il s’était pris d’un culte pour Elisa Radziwill ; elle était morte depuis un demi-siècle, quand le vieil empereur s’arrêtait, tout ému, presque contemplatif, devant une jeune fille qui la lui rappelait. Elisa Radziwill était une catholique. Auprès de lui, les catholiques trouvaient une autre avocate que cette inoubliable disparue : c’était l’Impératrice elle-même, à laquelle Guillaume s’était loyalement donné. Augusta cherchait dans les deux confessions l’élément chrétien qui leur était commun ; elle visait à s’élever au-dessus de leurs divergences. Herder, Hegel, interprétés par son âme religieuse, lui semblaient prêcher cette aspiration pacifique. Elle détestait les polémiques, les luttes confessionnelles, les persécutions, les exclusivismes ; on observait que ses femmes de chambre étaient le plus souvent des catholiques, et les œuvres catholiques jouissaient de ses bienfaits. Le général de Loe, qui fut trente ans auprès d’elle, célèbre son attachement solide à la foi évangélique : il doit être cru. Evangélique, oui, l’impératrice Augusta l’était… « Je suis évangélique plutôt que protestante, » disait-elle un jour, définissant ainsi, d’une façon subtile et profonde, l’attitude de son âme, à laquelle déplaisait sans doute tout ce qu’il y avait eu, dans la Réforme, de négatif, de polémique et d’insurrectionnel.

Mais dans toutes les consciences « évangéliques » vraiment actives et vraiment vivantes, il y a peut-être, quoi qu’elles veuillent parfois, une brèche ouverte pour le catholicisme. Le noble travail intérieur par lequel elles tentent de se parachever elles-mêmes sous l’action directe d’un Dieu lointain, les autorise et les amène à prendre, partout où elles les trouvent et même dans l’autre Eglise, certains élémens de perfectionnement : dès lors qu’ils leur apparaissent comme susceptibles de rapprocher d’elles ce Dieu qui souvent se cache, elles font acte de « liberté évangélique » en se les assimilant. Augusta, chaque soir, lisait ce petit chef-d’œuvre d’ascétique catholique qui s’appelle le