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excellence ; il est tourmenté de ce que Fourier appelait la passion papillonne. Comme un papillon, il vole de fleur en fleur, et rien ne peut fixer ses inconstances. Il donne son cœur sur la minute, mais il le reprend l’instant d’après ; le matin, il était de feu, le soir il est de glace. Il lui est même arrivé d’aimer passionnément à la fois trois bergères sans pouvoir décider laquelle il préférait ; et quand il se rend à la fontaine d’amour, fontaine merveilleuse, où le berger qui s’y penche, au lieu d’apercevoir sa propre image, voit apparaître celle de la bergère qu’il aime : « Ah ! s’écrie Hylas ! cette fontaine est si petite que, si je m’y regardais, il serait impossible que j’y visse seulement la moitié des objets que j’ai aimés. »

En face de cet homme de plaisir, Platon et la Sagesse sont représentés par les druides et leurs disciples, — car les druides de l’Astrée sont des pontifes du Platonisme, — et en particulier par le grand druide Adamas, philosophe à l’air majestueux, à la barbe vénérable, qui tient école de philosophie à l’ombre des hêtres et des sycomores.

Résumons-nous. On a toujours raison de réussir, et un succès durable n’est jamais absolument immérité. L’Astrée est peut-être un des livres qui ont reçu des contemporains de l’auteur l’accueil le plus empressé, et cet accueil peut se justifier. Parmi les premiers lecteurs de l’Astrée, les uns, sensibles surtout au charme du bien dire, furent frappés de la douceur, de l’harmonie et de la limpidité toutes nouvelles alors du style. D’autres approuvèrent surtout les observations fines et délicates semées de place en place dans l’ouvrage et saluèrent dans l’auteur un homme qui avait su profiter de sa vie agitée et pleine de vicissitudes, pour étudier la société et le cœur humain. D’autres encore, et ceux-ci furent en grand nombre, cherchèrent à découvrir sous les masques les visages ; et, supposant que d’Urfé avait peint des personnages réels et historiques sous des noms fictifs, ils se donnèrent le plaisir d’exercer leur perspicacité à lui ravir son secret. D’autres prirent intérêt à la lecture d’un livre qui était un miroir de l’époque et où se trouvaient reproduites les grandes luttes d’idées et de tendances qui agitaient les esprits. D’autres enfin se contentèrent de savoir que l’Astrée était une pastorale et ils la goûtèrent passionnément comme l’un des chefs-d’œuvre d’un genre, dont la vogue, pour les raisons que nous avons indiquées, était alors immense. Ceux-ci furent