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LA FAIBLESSE HUMAINE.

sible qu’elle ne fût pas plus révoltée ?… Il l’aimait… Pauvre cher André !… Elle eut un sursaut :

« Mais je ne l’aime pas, moi ! »

Elle évoqua, pour s’y cramponner, son mari, ses enfans, sa vie belle malgré tout, honorée, sereine. Voyons, elle s’affolait stupidement !… Cette existence de Paris, sans doute, qui surexcite, qui dévoie :

« Mais non, je ne l’aime pas ! »

Et elle le cria presque avec une sorte de rage : alors, pourquoi l’avoir laissé parler ? Et elle se croyait honnête femme ! Son trouble s’exaspérait du conflit d’idées et de sentimens qui se livraient en elle : pitié, remords, générosité impuissante. Elle serra les dents, épouvantée de l’inconnu qui dort en nous, se débat, étouffe par momens notre conscience la plus sûre :

Elle répéta :

« Mais puisque je ne l’aime pas !… J’aime Maurice, j’aime mes enfans. »

Il lui semblait que le fiacre ne marchait pas ; elle se demandait avec angoisse si elle allait sortir de ce tourbillon. Enfin, l’avenue Henri-Martin, la maison, le décor familier, l’accueil de bienvenue des choses.

Elle les reconnut, oui, mais comme dans une autre lumière, et avec une autre âme.


X

C’était chez les Givreuil, après un de ces dîners comme on n’en déguste plus que dans quelques rares maisons où la bonne chère triomphe en même temps que rivalise l’esprit des causeurs, Givreuil, le célèbre chirurgien, combinait avec un art suprême les plats et les convives. Haut en couleur sous ses cheveux gris, l’œil malin, toutes ses dents et un estomac prodigieux, il excellait à mettre la table en gaîté. Sa femme, l’œil à tout, le sourire prodigue, le secondait à ravir.

Dopsent se plaisait particulièrement chez Givreuil, jadis son maître à l’hôpital Cochin, qui lui avait fait le meilleur accueil et l’avait abouché avec les politiciens de son entourage, ravi de voir un député considéré, et peut-être bientôt considérable, augmenter « sa Ménagerie. » H avait ce soir quelques grands fauves : de la Presse, Le Vigreux ; de la Bourse, le banquier