Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/415

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
409
UNE VIE D’IMPÉRATRICE.

voir déjà à l’âge de cinq et six ans, élevées ensemble, s’aimant d’une amitié fraternelle ! Hélas ! je fais des projets et j’ignore même si le prince Galitzine me laissera sa fille. »

Le prince la lui laissa et pendant quelques mois encore les deux enfans vécurent côte à côte ainsi que deux sœurs. Naturellement et sans négliger l’orpheline qu’elle avait adoptée, c’est surtout de sa propre fille que s’occupait l’Impératrice et qu’elle entretenait sa mère. « Elle va avoir un an. Mais c’est l’époque de quatorze mois, que je voudrais qui fût déjà passée ; j’en ai une terreur inexprimable, parce que c’est l’âge où l’autre est morte… Elle se porte à merveille ; la pauvre Lise Galitzine, qui a trois mois de plus qu’elle, pèse la moitié de son poids. Elles sont ensemble toutes les après-dînées, Lise enchantée, embrassant à droite et à gauche tout le monde, mais la mienne ne peut pas se faire encore à la société d’un être de son âge, et quand Lise l’approche un peu de trop près, elle fait une mine la plus ridicule, comme si on lui jetait de l’eau sur le corps… Elle parlera certainement dans peu, et même, on peut dire sans exagération qu’elle parle déjà, parce qu’il y a des sons qu’elle prononce avec intention : par exemple, quand elle ne veut pas de quelque chose, c’est nie, nie, sans fin pour non qui se prononce niette en russe ; de même up en anglais quand elle veut être levée. Elle est réellement bien, bien gentille, et il faut encore que je vous fasse part d’un petit tour que je lui ai enseigné et qu’elle a appris avec une extrême intelligence ; je lui ai appris à dire tak, ce qui équivaut à oui ou c’est ça, quand je lui demande à l’oreille si elle est ma Lisinka. Elle n’y manque jamais quand elle est de bonne humeur, et d’un petit air si fin comme si elle entrait dans la plaisanterie. Pardon, maman, ce sujet comme toujours m’a entraînée plus loin que je ne voulais. »

Ces extraits d’une correspondance confidentielle et familiale témoignent du plus rare bonheur maternel. Mais il n’était devenu si complet que pour être brutalement détruit. Le 8 avril 1808, Élisabeth écrivait : « Lisinka se porte à merveille, elle a communié le dimanche de Pâques et, lorsqu’on a voulu lui donner la communion, elle s’est détournée et a dit no, de sorte qu’il a fallu la forcer comme pour une médecine. Lise Galitzine aussi a communié. Ces deux petites étaient intéressantes à voir. » Le 2 mai suivant, l’enfant était morte à la suite de convulsions. Le désespoir d’Élisabeth ne lui laissant pas la