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UNE VIE D’IMPÉRATRICE.

cette princesse et Napoléon. Élisabeth n’y croyait guère, convaincue qu’une telle alliance n’entrait pas dans les projets de l’empereur des Français.

« Quant à elle, elle s’en arrangerait fort bien, je crois ; il ne lui faut qu’un mari et la liberté, quoique je doute qu’elle l’ait entière avec celui-ci. Je n’ai jamais vu une plus singulière jeune personne ; elle est en mauvais chemin parce qu’elle prit pour modèle d’opinions, de conduite, de manières même son cher frère Constantin. Elle a un ton qui ne conviendrait pas à une femme de quarante ans et bien moins à une jeune fille de dix-neuf, par-dessus tout la prétention de mener sa mère par le nez et en effet elle y réussit quelquefois. Je ne comprends pas que l’Impératrice qui, avec ses autres filles et belles-filles, était d’une exigence, d’une sévérité outrées, se laisse traiter par celle-ci avec une impertinence qui souvent me révolte et trouve en elle que c’est de l’originalité. »

Ce n’est pas seulement dans les circonstances que nous venons de rappeler que l’impératrice Élisabeth puise ses griefs contre Napoléon. Sa sœur Frédérique avait épousé le roi de Suède Gustave IV. Ce prince, ayant refusé de se prêter aux desseins politiques du vainqueur de la Russie, s’était vu dépouillé par lui de la Poméranie et par son beau-frère Alexandre de la Finlande. Puis une conspiration militaire lui avait enlevé la couronne et c’est avec son successeur, auquel devait bientôt succéder Bernadotte, que la Russie avait conclu la paix. Non sans raison, Élisabeth attribuait à Napoléon tous les malheurs de son beau-frère et de sa sœur. Son ressentiment trouva dans leur infortune un aliment de plus. L’année 1812 lui fournit l’occasion de l’exprimer sans retenue et avec éclat.

« 26 août. — Je suis sûre que vous êtes bien mal instruits en Allemagne de ce qui se passe chez nous. Peut-être vous a-t-on déjà fait croire que nous avons fui en Sibérie, tandis que nous n’avons pas quitté Pétersbourg. Nous sommes préparés à tout, à la vérité, hormis des négociations. Plus Napoléon s’avancera, moins il doit croire une paix possible. Chaque pas qu’il fait dans cette immense Russie l’approche davantage de l’abîme. Nous verrons comment il supportera l’hiver. »

« 28 août. — Du moment que Napoléon eut passé nos frontières, c’était comme une étincelle électrique qui s’étendait dans toute la Russie et si l’immensité de son étendue avait permis