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UNE VIE D’IMPÉRATRICE.

que le parti de la guerre à outrance l’emporta. L’Empereur ne devait jamais oublier qu’en cette occasion, l’Impératrice était entrée avec ardeur dans ses vues patriotiques. C’est tout ce qu’il y a lieu de dire ici de l’attitude de l’Impératrice pendant la tragique campagne de 1812, encore que ses lettres soient remplies de détails qui révèlent le courage des Russes et tout ce que nous savions déjà de ce sanglant conflit. Il était à peine dénoué par les désastres de l’armée française que l’Empereur quittait Saint-Pétersbourg pour se jeter avec ses alliés à la poursuite de l’ennemi. L’année 1813 se passa pour l’Impératrice dans l’isolement et dans le calme. Mais elle ne restait pas oisive et en même temps qu’elle suivait avec une émotion passionnée les péripéties de la campagne, elle s’occupait activement de seconder les efforts de la Société Patriotique qui s’était formée pour venir en aide aux victimes de l’invasion et pour procurer des secours à tant de malheureux qui survivaient aux morts, invalides et blessés, familles nombreuses et désolées qui pleuraient un père, un mari, un frère et qu’une noire misère menaçait. En ces circonstances, le dévouement d’Elisabeth est à la hauteur de toutes les obligations et de tous les devoirs. Sa conduite inspire une admiration universelle et peut-être connut-elle alors la joie de voir tout un peuple, de qui elle avait pu se croire méconnue, rendre hommage à son caractère et à la noblesse de sa vie. Si douce que pût être à son cœur cette manifestation réparatrice, elle attendait une autre récompense que seul son mari pouvait lui accorder. Cette récompense ne lui manqua pas. Le 7 décembre 1813, elle constatait qu’un an s’était écoulé depuis que l’Empereur avait quitté Pétersbourg. « Il me disait que son absence durerait peut-être trois semaines, peut-être six, peut-être six mois : quelque chose me disait que cette absence serait bien longue et je ne peux exprimer l’anxiété avec laquelle je me suis séparée de lui. » En écrivant ces lignes, elle ne se doutait pas qu’un grand bonheur lui était réservé ni qu’il fût si proche.

Il lui arriva le surlendemain.

« Chère, chère maman, je suis ivre de joie : je vous reverrai et bientôt, le plus tôt possible ! Je suis encore trop bouleversée pour vous raconter le tout avec suite. L’Empereur a conçu en secret l’idée bienfaisante de me faire venir : que Dieu l’en bénisse mille et mille fois ! qu’il me donne surtout les moyens