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POÉSIES.


Aussi, quand vous viendrez, je serai triste et sage,
Je me tairai, je veux, les yeux larges ouverts,
Regarder quel éclat a votre vrai visage,
Et si vous ressemblez à ce que j’ai souffert.


III



Que m’importe aujourd’hui qu’un monde disparaisse
Puisque tu vis, le temps peut glacer ses étés,
Rien ne peut me frustrer de la sainte allégresse
Que ton corps ait été.

Même lorsque la mort finira mon extase,
Quand toi-même seras dans l’ombre disparu,
Je bénirai le sol qui fut le flanc du vase
Où tes pieds ont couru.

— Tu viens, l’air retentit, ta main ouvre la porte,
Je vois que tout l’espace est orné de tes yeux,
Tu te tais avec moi, que veux-tu qu’on m’apporte,
À moi qui suis le feu ?

La nuit, je me réveille, et comme une blessure,
Mon rêve déchiré te cherche aux alentours,
Et je suis cet avare éperdu, qui s’assure
Que son or luit toujours.

Je constate ta vie en respirant, mon souffle
N’est que la certitude et le reflet du tien,
Déjà je m’enfuyais de ce monde où je souffre,
C’est toi qui me retiens.

Parfois je t’aime avec un silence de tombe,
Avec un vaste esprit, calme, tiède, terni,
Et mon cœur pend sur toi comme une pierre tombe
Dans le vide infini !

J’habite un lieu secret, ardent, mystique et vague
Où tout agit pour toi, où mon être est néant ;
Mais le vaisseau alerte est porté par la vague,
Je suis ton Océan.