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et duchesse, cela ne court pas les rues. Ils ne sont pas si nombreux dans la France du XXe siècle ; on les compte ; on les connaît ; on les voit vivre. Il y a autour d’eux une atmosphère de sentimens, de manières, de langage, dont il est indispensable qu’on nous donne l’impression. Nous ne sommes pas chez des parvenus, chez des richards ayant leur luxe pour toute élégance, affolés parle tourbillon de la grande vie et emportés dans l’universelle sarabande. Non. C’est ici noblesse de vieille roche, famille de vieille France. Apprêtons-nous à passer la soirée non pas dans une somptueuse bâtisse de l’avenue de Villiers ou dans une coquette villa d’Enghien, mais dans un vieux château de France, mais dans un vieil hôtel du plus vieux faubourg Saint-Germain. Ainsi en a décidé l’auteur. C’est là qu’il nous mène et non pas ailleurs. Ce qu’il a voulu nous présenter, c’est un drame de la vie aristocratique au XXe siècle.

Ce drame, le voici. Diane de Charance, une jeune fille de dix-huit ans, a un amant, un amant qui est un homme marié, Marcel Armaury, avocat célèbre, membre du Conseil de l’Ordre, quarante ans et plus. La situation est effroyable. Mais pour en être effrayés comme il convient, il nous faudrait d’abord y croire. Et c’est cela qui n’est pas commode. Une objection s’est tout de suite dressée devant nous : c’est affreux, mais est-ce possible ? Je ne parle pas de la vraisemblance morale, sur laquelle sans doute on nous renseignera tout à l’heure. Sans doute on nous expliquera comment, par suite de quelles tares qui constituent son « cas, » une jeune fille a pu commettre le plus abominable et le plus répugnant des crimes. Nous faisons crédit à l’auteur qui ne peut se dérober à une partie aussi essentielle de sa tâche. Attendons ! Pour l’instant, je demande seulement si, dans un certain milieu, et dans certaines conditions sociales, une telle aventure est dans l’ordre des choses possibles. Nos mœurs n’autorisent pas encore les libres allées et venues d’une jeune fille ; il y a ici une mère, un père, un frère ; Diane de Charance n’est pas du tout une personne abandonnée à elle-même et privée de toute surveillance. Admettons que la duchesse de Charance, qui a pourtant l’air d’une assez brave femme et même un peu bourgeoise, néglige pour la vie mondaine ses devoirs de mère ; elle a dû confier sa fille à une institutrice, et celle-ci redouter la responsabilité d’une connivence qui pourrait la mener loin. En tout cas, il y a, dans un hôtel ou dans un château, une domesticité nombreuse. Une jeune fille qui s’en va passer la nuit chez un monsieur, cela se remarque, cela se chuchote, cela se sait… Personne ici n’en sait rien !… Il a fallu le hasard d’une lettre