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REVUES ÉTRANGÈRES.

tragédie. Mais les dramaturges allemands, tout de même que leurs confrères les romanciers, ne craignent pas de continuer à nous exhiber leurs héros, même lorsque s’est achevée la crise décisive de leur destinée. Il ne faut pas oublier que le Don Juan de Mozart, dans sa version primitive, ne finissait pas au moment où le convive de pierre retournait aux enfers en emmena ni son hôte avec lui : le public voyait reparaître alors dona Anna et dona et vire, don Ottavio et Leporello, et les ensembles chantés par ces personnages contrastaient délicieusement avec la terreur et l’angoisse de ce qui est à présent, pour nous, la scène finale de l’opéra. Le troisième acte de Jacques l’Imbécile, lui, n’est point fait pour dissiper dans nos cœurs l’impression désolée de la catastrophe susdite : mais l’auteur n’en a pas moins tenu à nous faire pénétrer plus profondément encore dans l’intimité de ses caractères, et le fait est que ce troisième acte contient, à son tour, des passages d’une amertume « réaliste » fortement accusée.

Le début de l’acte est déjà, à ce point de vue, d’un effet significatif. Dans le même décor que nous a montré le premier acte, la même scène se reproduit, mais avec un renversement des rôles précédens. C’est maintenant Lisa qui joue aux dominos avec Allenstein : et celui-ci est distrait, maussade, comme naguère nous était apparue sa sœur, et Lisa le raille de ses inadvertances avec un ton de mépris tout pareil à celui dont lui-même accablait la pauvre baronne de Pasini. Le véritable sujet de l’acte est de nous faire assister à une dernière lutte dans l’âme de la jeune fille, partagée entre son amour passionné pour Jacques et son besoin, non moins passionné, de luxe, de richesse, et d’éclat mondain. Après avoir longtemps essayé de supporter le spectacle des relations de son amie avec Allenstein, Jacques décide de s’en aller. Il vient sommer Lisa de choisir entre lui et son ancien maître ; et quand la jeune fille s’aperçoit que sa résolution de partir est inébranlable, elle hésite, s’interroge, et peut-être serait sur le point de se laisser fléchir, — sauf d’ailleurs à le regretter dès l’instant suivant, — si la baronne de Pasini ne s’avisait de mettre fin à l’entrevue en appelant son frère, pour lui dénoncer la présence de Jacques auprès de sa fiancée. Lisa, aussitôt, se ressaisit tout entière et renvoie le malheureux Jacques, si sûre désormais de sa domination absolue sur Allenstein qu’elle profite simplement de cette occasion pour obtenir le congé de la baronne et de son mari. Mais, sous cette action dramatique du troisième acte, l’intérêt littéraire ne consiste que dans la peinture de l’écroulement lamentable opéré à jamais, dans le cœur et la vie d’Allenstein, par sa déception au sujet du jeune homme. Bien plus que