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pas eu le trait aussi piquant sans jamais être méchant, ni blessant. Aussi n’avait-il pas d’ennemis, et beaucoup de ses adversaires politiques, en le voyant partir, penseront, sans l’avouer, qu’il manquera à la Chambre prochaine. Pourquoi donc s’en va-t-il ? Il l’a dit dans un journal ; c’est qu’il a constaté que ses efforts sont vains au Palais-Bourbon et que, dans sa circonscription électorale, ils compromettent ses amis. Toutes les faveurs administratives leur sont impitoyablement refusées ; leurs droits même sont méconnus, puisqu’il est admis aujourd’hui que l’argent des contribuables, c’est-à-dire de tout le monde, est fait pour entretenir la situation d’une coterie. M. Lasies libère ses électeurs ; il ne veut pas être plus longtemps pour eux une gêne, un embarras, un trouble-fête. Il renonce à son mandat. M. Gauthier (de Clagny) renonce aussi au sien. Comme M. Lasies, il appartient à la minorité, et il honore son parti par son talent et son caractère. On l’écoute toujours avec plaisir, et nous dirions avec profit, si on suivait quelquefois ses conseils ; mais on ne les suit jamais. Il est de l’opposition, cela suffit pour rendre son éloquence inutile et, comme on dit au Palais, inopérante. D’autres causes encore l’ont dégoûté. Cet orateur, si maître de sa parole et qui connaît si bien le sens et la portée des mots, a laissé déborder son amertume dans le dernier discours qu’il a prononcé, et il a parlé du « mépris » dans lequel le Parlement était tombé. L’assemblée a murmuré, elle n’a pas protesté. Et ce ne sont pas seulement des conservateurs comme MM. Lasies et Gauthier (de Clagny) qui s’en vont en disant pour quoi. M. Labori, un républicain celui-là, suit leur exemple et en donne les mêmes raisons. M. Labori voudrait bien pouvoir dire, comme M. Briand, qu’il est l’homme des réalisations ; mais il s’est aperçu que, depuis qu’il est député, il n’a rien réalisé du tout. C’est pourquoi il part. S’il cherche à rentrer un jour à la Chambre, ce sera lorsque auront été faites un certain nombre de réformes, parmi lesquelles figure le scrutin de liste avec représentation proportionnelle. Alors, peut-être, les « mares stagnantes, » dont M. le président du Conseil a parlé à Périgueux d’une manière si éloquente mais jusqu’à présent si inutile, se rejoindront et formeront une mer navigable. En attendant, M. Labori va plaider, au barreau de Paris, ’des causes que, grâce à son talent, il peut avoir quelque chance de gagner.

Ce triple renoncement à la vie politique, qui sera peut-être suivi de quelques autres, est un symptôme inquiétant. Dans une conférence récente, M. Raymond Poincaré l’a condamné en principe ; mais, sans