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au Roi des soupçons sur la conduite privée de sa femme ; dans sa correspondance ultérieure, Caroline se plaindra d’avoir été soumise à un système d’espionnage et de délations. Vraisemblablement, Murat crut encore plus à une autre accusation, parce que celle-là répondait à son appréhension constante, à son perpétuel et lancinant souci. La Reine fut accusée, — suivant l’expression déjà formulée sous sa plume, — de « faire un parti, » de vouloir s’assurer une influence, une action, une force, en dehors et à l’encontre de l’autorité royale. La cour et le gouvernement étaient déchirés entre Français et Napolitains. Deux Français, le ministre de la Guerre Daure et le grand maréchal du palais Lanusse résistaient à la faction italique. On fit croire au Roi, ou on lui démontra qu’entre ces deux personnages et la Reine, il y avait partie liée, connivence, complicité, et que Caroline s’entendait avec eux pour nouer une grande intrigue.

Murat ne fit pas un éclat ; la vie conjugale ne fut pas rompue, mais elle devint un supplice pour la Reine, car son mari la tourmenta de soupçons exaspérés et lui infligea un redoublement d’injurieuse méfiance. Ses relations furent plus étroitement que jamais surveillées, réduites. Dans l’été de 1811 qu’on passa au château de Capo di Monte, dans cette vieille résidence déjà triste et morose par elle-même, la Reine vécut des heures d’isolement, des heures noires, amères, traversées d’humiliations. On lui faisait sentir en toutes choses qu’elle n’était rien dans le royaume, qu’elle était au regard de ses sujets inexistante et comme morte. Jusqu’aux signes extérieurs de sa prérogative disparurent à Naples. Dans les appartemens d’honneur, au théâtre dans la loge royale, son fauteuil même vide ne paraissait plus à côté de celui du monarque ; on eût pu croire Murat célibataire ou veuf. Ces mortifications furent horriblement sensibles à la Reine, sans qu’elle osât ouvertement se rebiffer. Tout ce qu’une femme peut subir en souffrances d’orgueil, en lacérations d’amour-propre, en blessures cuisantes, réitérées, sans cesse ravivées. Caroline eut alors à le supporter ; plus tard, elle ressentira le contre-coup physique de ses douleurs morales.

Le crédit de la Reine tombant, le parti hostile à la France se trouvait les voies libres. Murat se laissa entraîner à des mesures graves. Un dignitaire français, le maréchal Pérignon, conservait le gouvernement militaire de Naples ; on profita de son absence par congé pour supprimer la place. Le 14 juin,