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II

Entre la Russie et le Vatican se dressait cependant, comme un mur infranchissable, une question particulièrement douloureuse, celle des Uniates. Sur ce point, Rome n’avait pu rien obtenir ; la diplomatie russe déclinait toute négociation, toute conversation. A ses yeux, les anciens uniates étant tous passés à l’orthodoxie officielle, il n’y avait plus en Russie de catholiques de rite grec ; parlant, Rome n’avait pas à intervenir en leur faveur. A la suppression de ces malheureux uniates de Pologne on avait employé toutes les forces du pouvoir autocratique. Contre les récalcitrans, l’administration et la police avaient usé de tous les procédés imaginés chez nous par Louvois contre les protestans, y compris les garnisaires cosaques ; et cela au déclin du XIXe siècle, sous des princes justement réputés pour leur humanité, comme Alexandre II et Alexandre III. Amendes, fustigations, incarcérations, séparations violentes des familles, confiscations, déportations, tout, sauf l’échafaud, avait été mis en œuvre, sous l’œil sec de M. Pobédonostsef[1]. C’était, au nom de l’autorité tsarienne, et, cette fois, contre Rome, comme une autre révocation de l’Edit de Nantes, avec cette différence que, attachés à leurs champs et à leurs villages, les victimes ne pouvaient ou n’osaient chercher un refuge dans l’exil. Plutôt que de recevoir les sacremens de la main de popes, à leurs yeux schismatiques, un grand nombre de ces pieux paysans renonçait à tous secours religieux. Au mariage orthodoxe, beaucoup préféraient le concubinage ; d’autres traversaient de nuit les forêts de la frontière pour se faire marier en secret par un prêtre de Galicie. Leurs enfans restaient bâtards devant la loi russe. Naguère encore, il suffisait que la police découvrît un ancien uniate priant dans une église de rite latin, ou en conversation avec un prêtre catholique, pour que l’église fût fermée, le prêtre déporté. La persécution contre les catholiques de rite grec retombait ainsi sur les catholiques de rite romain.

On comprend l’émotion de ces anciens uniates, lorsque parvint à leurs villages le bruit que chacun allait être maître de professer sa foi librement. Aux premiers jours, la plupart

  1. Voyez l’Empire des Tsars et les Russes, tome III, p. 605-608.