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un état de vasselage une bonne fois accepté et reconnu. Il tient moins à le briser qu’à le courber.

Sans doute a-t-il rompu avec son beau-frère toutes relations personnelles, tout rapport direct. En vain Murat lui adresse lettres sur lettres, des lettres explicatives, confidentielles, invocatrices des anciens souvenirs et des longs dévouemens, des lettres désespérées et passionnées, telles qu’en écrirait un amant dont l’ardeur s’exaspérerait par les rebuffades et les rigueurs de l’être adoré. Ce ton tour à tour pathétique et larmoyant n’a nullement le don d’émouvoir l’Empereur ; aux effusions du Roi, il n’oppose que le silence : il le laisse continuer, sans lui donner la réplique, son solo d’amour. Durant toute cette phase, pas une lettre, pas une ligne, pas un mot en réponse. Toutefois, ce n’est point seulement par intermédiaires officiels, par son ministre des Relations extérieures, par son ministre auprès de la cour napolitaine, par le maréchal Pérignon renvoyé d’autorité à Naples, qu’il entend signifier ses volontés. Il veut faire passer au Roi un dernier avertissement privé, un ultimatum à la fois indirect et intime, un suprême rappel.

L’intermédiaire se trouvait sous sa main ; le maréchal Berthier n’était pas seulement vice-connétable, prince de Neuchâtel et de Wagram, major-général : c’était par-dessus tout cela l’ami personnel, l’homme des missions de confiance, attaché en même temps à Murat par les liens d’une ancienne et presque fraternelle camaraderie. Le 9 septembre, à Compiègne, l’Empereur s’empare de Berthier et lui fait écrire à Murat sous ses yeux ; il parle, l’autre écrit. La lettre est décousue, hachée, tumultueuse ; c’est un monologue impérial qui se répercute instantanément en lettre sous la signature de Berthier. On voit que le maréchal attrape au vol et jette pêle-mêle sur le papier toutes les expressions que l’Empereur réitère, accumule, entasse pour se faire mieux entendre, pour enfoncer plus profondément dans l’esprit de Murat ce qu’il veut y imprimer. Le maréchal ajoute ses instances et ses supplications personnelles. Cette objurgation est curieuse en ce qu’elle montre chez Napoléon le désir de ne frapper qu’après ultime avis et en même temps sa volonté de ne se relâcher en rien de ses inébranlables exigences.

« Cette lettre, écrit Berthier au Roi, fera de la peine à Votre Majesté… L’Empereur, après son déjeuner, me dit : « Je ne conçois pas la conduite des hommes que j’aime et dont j’ai