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n’ont pas, en revanche, resserré les liens séculaires qui unissent les représentans de l’île d’Erin aux mandataires de la démocratie anglaise. Des scissions récentes, des ressentimens farouches, dont le groupe irlandais a le secret, sont venus modifier l’attitude des nationalistes vis-à-vis du Cabinet radical, à l’heure même où il ne pouvait se passer de leur alliance. Deux hommes ont été les chevilles ouvrières de cette transformation. Ils ne sont, ni l’un ni l’autre, des débutans. M. Timothée Michel Healy, — le visage encadré d’une barbe en pointe, le regard voilé par un lorgnon, — approche de la soixantaine et a fait ses preuves lors des débats sur la loi agraire de 1881. Il était, avec Gladstone et le chancelier Law, le seul orateur qui pût jongler avec les articles de ce texte obscur. Tour à tour employé de chemin de fer, commis de magasin, journaliste parlementaire, il s’est, à force de travail et de talent, taillé une place au barreau et dans les Communes. Quand s’ouvrit la succession politique de Parnell, il fut évincé par M. J.-E. Redmond. Chassé du Parlement par son adversaire, il y rentre, malgré lui, en 1906 et en 1910. La même haine rapproche M. T.-M. Healy de William O’Brien, dont la longue silhouette maigre et osseuse, prolongée par un énorme haut de forme, accentuée par un bec d’aigle sur lequel chevauchent de larges lunettes, fait la joie des caricaturistes anglais. Révolutionnaire ardent, auteur d’un plan inexécuté pour la prise de Dublin Castle, il a un casier judiciaire orné de neuf condamnations. Assagi par deux années de prison et par le contact des Lettres sereines, W. O’Brien est devenu le partisan des transactions opportunes et des réalisations immédiates. Il se brouille avec M. J.-E. Redmond, parce que celui-ci se refuse à appuyer le plan de décentralisation administrative préconisé par lord Dunraven. Aujourd’hui, il est d’accord avec M. T.-M. Healy pour reprocher à l’héritier de Parnell ses interventions électorales en faveur des radicaux, son attitude conciliante dans la discussion du budget. Les droits sur le whisky vont grever le débitant irlandais. Les taxes foncières frapperont 100 000 petits propriétaires, qui possèdent 20 hectares d’une valeur de 500 £. Le groupe nationaliste a obtenu du parti libéral tout ce qu’il pouvait donner : des retraites ouvrières, des lois agraires. Quant au Home Rule, M. Asquith est parfaitement résolu à ne jamais l’accorder. Il faut donc se retourner vers les Conservateurs, défenseurs des écoles confessionnelles, partisans des tarifs différentiels.