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Ministre répond aux critiques de M. A. J. Balfour. Plus il parle, plus l’enthousiasme de la gauche diminue. Les « Hear ! Hear ! » manquent d’ardeur. À plusieurs reprises, les déclarations de M. Asquith soulèvent l’approbation des bancs conservateurs. En face, le silence des radicaux grandit. Il devient impressionnant. Dans cette atmosphère glaciale, les paroles de l’orateur retentissent avec un accent singulier. Surpris par la sonorité de ses paroles, sa gêne grandit. Cet avocat, dont l’impassibilité bouleversait les témoins et dont la clarté émerveillait les juges, hésite et tâtonne. Il termine mal ses phrases. Il trouve difficilement ses mots. Et lorsqu’il se rassoit, aucune acclamation ne vient troubler le silence oppressant de l’assemblée.

Des bancs conservateurs, un député se lève pour répondre à M. Asquith. Il n’a rien d’un Anglais. Un accent chantonnant atténue les gutturales. Sa voix chaude résonne avec un timbre particulier. Ses gestes sont faciles et souples. Vue d’un peu plus loin, cette silhouette agréablement rebondie, ce visage rond, aux lignes pleines et aux paupières alourdies, a je ne sais quoi d’ecclésiastique. Le discours, dans le fond et dans la forme, trahit une culture latine. Le plan est rigoureux. Le style est châtié. Ce n’est pas un homme d’affaires, qui, dans une causerie courte et improvisée, expose un ou deux points précis. C’est un orateur : il parle ; il agit ; il joue. Ce réquisitoire logique contre le programme ministériel soulève les acclamations des radicaux. Et lorsque M. J.-E. Redmond, l’ancien whip de Parnell, se rassoit, après avoir accentué son ultimatum par une menace de scission, la Chambre est en plein désarroi. Le brouhaha des conversations s’élève. Nul ne demande la parole. Le banc des ministres paraît atterré.

Huit jours de négociations, dans les antichambres ministérielles et dans les couloirs parlementaires, resserrent tant bien que mal les liens du bloc démocratique. M. Asquith fait trois concessions à son aile gauche. Bien que l’année financière expire le 31 mars, bien que le déficit créé par la non-perception des impôts directs atteigne 28 millions de livres, la discussion du budget sera ajournée. La bataille contre les Lords sera immédiatement engagée. De plus, les projets de réorganisation de la Chambre Haute, demandés par les représentans de l’Ecosse au sein du Cabinet, par sir Edward Grey, M. Haldane, M. Winston Churchill, seront remis à la prochaine session. La