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bleus et sans vigueur. Le visage a la couleur d’un homme assez bien portant qui commence à vieillir. Le nez, d’une courbure accentuée, révèle la race napoléonienne, mais le menton n’est ni épais, ni rond comme l’avait si nettement Napoléon Ier. Les traits du souverain sont empreints de bonté et de charme. Sa voix est douce comme son visage. Il y a dans toute sa personne un certain affaissement qui disparaît seulement, lorsque la conversation semble devenir intéressante pour lui. Elle l’était particulièrement, quand on parlait de l’Impératrice et du Prince impérial. Alors, la figure de Napoléon prenait une forme affable et reconnaissante qui ne manquait pas d’attraits. »

Monts constate que l’Empereur savait parfaitement l’anglais et l’italien, mais préférait s’exprimer habituellement en français. Il lisait des journaux allemands, belges et anglais, plus spécialement le Times. Le gouverneur, présenté aux officiers français qui étaient en uniformes chamarrés et l’épée au côté, déclare que ces messieurs avaient une attitude excellente à tous égards. Quoique accablés par les coups du sort, il les supportaient avec un calme stoïque, ne se permettant aucune plainte, ni aucun reproche contre leurs compagnons d’armes. Sur les instructions du gouvernement allemand, on avait mis à leur disposition un bureau postal et télégraphique dont, après quelques défiances, ils usèrent largement.

La personne de l’Empereur, — et cela est bien naturel, — ne cessait d’occuper et de préoccuper le général de Monts. Il en trace un portrait moral qui offre un intérêt particulier. « Je m’efforçai, dit-il, de scruter son âme et de la pénétrer. Grave et réservé, ainsi qu’il l’avait été toute sa vie dans l’adversité comme dans les temps prospères, il ne pouvait, après la dernière catastrophe, se montrer ouvert et très accueillant devant un homme, qui, comme moi, lui était tout à fait inconnu. Pendant tout le temps de son internement à Wilhelmshöhe, il consentit cependant à s’exprimer plus d’une fois avec une spontanéité franche qui ne lui était pas habituelle. Dès le début, il fut et resta calme, mesuré, digne. Aucune parole irritée, aucune plainte, aucun désespoir au sujet des désastres qui avaient fondu sur lui. Jamais je ne l’entendis blâmer les fautes et les erreurs commises par ses maréchaux. Sa physionomie, surtout devant l’étranger, gardait un calme si extraordinaire qu’on aurait pu s’imaginer qu’elle n’éprouvait aucun sentiment, et cependant derrière ce