Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/634

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur les entretiens qu’il eut avec Napoléon, notamment au sujet de l’organisation défectueuse de l’armée française. L’Empereur en avait remarqué les défauts, mais n’avait pu y remédier utilement. Sans doute, il avait essayé d’imposer le service obligatoire comme en Prusse, mais le Parlement s’y était montré rebelle. Sans doute encore, il avait vu bien des choses à réformer, comme le recrutement, l’instruction incomplète des réserves, le train des équipages, le paquetage exagéré de l’infanterie, l’armement de l’artillerie, etc., mais il n’était plus maître chez lui. Il avait eu à lutter et il avait bientôt renoncé à la lutte. La guerre contre la Prusse, il aurait voulu l’éviter ; mais il affirmait à Monts que, s’il s’y était opposé, son pouvoir aurait été instantanément brisé et que ses amis eux-mêmes l’auraient traité de lâche. Il avait une crainte instinctive de la responsabilité et un réel effroi de l’opinion publique. C’est pourquoi, après les revers de Wœrth et de Spickeren, il s’était laissé démunir de son commandement en chef en faveur de Bazaine et avait suivi, en prince docile, les diverses évolutions de l’armée de Mac Mahon. « En Prusse, nous ne comprenons pas une faiblesse pareille, et nous n’admettrions pas un monarque qui se laisserait ainsi dépouiller de tout pouvoir et marcherait, sans commandement et sans influence, à la suite de ses propres troupes. » On osa lui reprocher la peur devant le danger. C’était faux. Monts a raison de rappeler qu’à Sedan l’Empereur s’exposa très bravement au feu de l’ennemi pendant plusieurs heures, et tandis que cinq des officiers de son entourage étaient tués ou blessés par les obus prussiens, il attendit vainement la mort. Au pont de la Meuse, à son retour en ville, un obus éclata à deux pas de son cheval et l’on crut un instant qu’il avait été foudroyé par l’explosion. Ici Monts se demande pourquoi, au milieu du désastre, il n’a pas mis fin lui-même à sa vie. Il se garde de l’en blâmer, mais il croit pouvoir affirmer qu’il était trop croyant pour commettre une telle faute. « J’ai la persuasion profonde, ajoute-t-il, que, dans le fond de son cœur, il avait aussi gardé l’espoir de rétablir l’Empire. Même au moment où tout semblait désespéré pour lui, il se disait que la restauration de son trône pourrait avoir lieu en faveur de son fils. Une telle opiniâtreté dans l’espérance, une telle illusion devant les faits les plus déconcertans étaient chez lui une particularité originale et persistante.