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reçue avec beaucoup de bonté. L’Empereur m’a fait entrer dans son petit salon, il m’a parlé beaucoup de toi ; je vais tâcher de te rendre mot pour mot sa conversation.

« L’Empereur a commencé par me dire avec force et il me l’a répété plusieurs fois dans le cours de la conversation : « Je n’ai jamais eu le projet de réunir Naples ; je ne veux pas le réunir et je ne le ferai jamais, à moins que le Roi ne m’y force. » L’Empereur a ajouté :

« Que le Roi suive constamment le système continental, qu’il inspire l’amour de la France aux Napolitains, que les Français se trouvent heureux et protégés à Naples, qu’ils n’y soient point maltraités et qu’ils n’aient point à se plaindre des Napolitains. S’il en était autrement, je me verrais forcé de réunir le royaume. Ayant mis un roi français à Naples, ce n’est pas pour que les Napolitains soient moins Français qu’ils ne l’étaient sous la reine Caroline[1], et c’est le Roi lui-même qui doit leur inspirer les sentimens qu’ils doivent maintenant avoir. Que le Roi s’applique surtout à me fournir son contingent de marine, que Naples enfin entre en tout dans le système français. Il faut que le Roi sache bien qu’il fait partie du grand Empire et qu’il me reconnaisse pour l’Empereur, comme font les rois de Bavière et de Westphalie et les autres ; qu’en un mot, il se reconnaisse pour mon grand vassal. Je ne me suis jamais mêlé de son administration intérieure, de son budget ; je ne veux point m’en mêler ; qu’il gouverne comme il l’entendra, je le laisse indépendant, pourvu que son pays entre en tous points dans le système politique et dans les intérêts de la France, et c’est uniquement dans ce but que j’ai donné un roi français aux Napolitains. »

« J’ai dit à l’Empereur que j’allais t’écrire tout cela et que j’étais persuadée que tu t’appliquerais à faire tout ce qu’il désire, mais que je le priais de t’écrire et de te rendre ses bontés, parce que tu ne pourrais jamais être heureux si tu en étais privé. L’Empereur m’a répondu qu’il ne t’écrirait pas ; que le vrai moyen de regagner son amitié et sa confiance était de te conduire en tout comme il le désirait. Il a ajouté : « Quand le Roi sera véritablement utile à la France, quand les Français seront heureux à Naples, quand il aura fourni son contingent de marine,

  1. La reine Marie-Caroline, femme du roi Ferdinand.