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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/679

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Bellman a chanté Haga, ou plutôt les papillons de Haga. On ne retrouve pas plus en lui la noblesse du paysage suédois que le pittoresque des récifs et des archipels qui font à Stockholm une pathétique entrée par la porte de la mer. Mais ce petit-fils d’un professeur d’Upsal, cet arrière-petit-fils d’un cordonnier allemand, a entendu les chansons de France que les voyageurs apportaient dans leurs malles avec des figurines de Sèvres. Il a suivi la troupe d’Opéra-Comique appelée à Stockholm par le père de Gustave III, Adolphe-Frédéric. Il a fredonné les derniers couplets de Paris dont raffolait la haute société suédoise et qui voltigeaient sur les lèvres des hôtes de Haga et de Gripsholm en ces beaux soirs où l’on se déguisait en divinités mythologiques et où l’on jouait Rose et Colas de Monsigny et le Devin du Village. Ecoutez bien sa chanson ; vous y surprendrez l’écho de la chanson française, comme dans les salons du pavillon de Haga et des châteaux suédois le pas du visiteur réveille les voix lointaines de notre XVIIIe siècle endormi.

Là-bas, sur le port de Stockholm, — et ce port au milieu de la ville est admirable, — dans la fumée des navires et dans la rumeur des atterrissages, se dresse la statue laurée de Gustave III. « Reconnaissez-vous son allure de Dieu ? s’écriait Wallin, en 1808, le jour de l’inauguration. Muses, mêlez vos voix au chant d’allégresse des Quirites !... » Il est là qui semble attendre les arrivages de statues, tout cet hellénisme de convention, tout cet Olympe français qu’il prétendit imposer à la terre de Suède. Le poète fut plus habile que le Roi. Il saisit au vol la chanson étrangère, l’emporta sous les chênes et les plus suédois, l’apprivoisa et lui apprit à moduler les notes de son pays.

Il l’emporta souvent à Ulriksdal. De Haga, un petit bateau nous y conduit. La mer se divise en fleuves et en rivières. On navigue sous l’ombrage des aulnes et des bouleaux et parmi des roseaux où le vent joue. « Le vent joue. » C’est un de ses mots favoris, et, comme le vent qui froisse la soie des roseaux, sa chanson fait une exquise musique. Le jour décline. La cime cuivrée des plus s’enflamme. La lune qui s’est levée jette ses rayons dansans à la poursuite des lueurs du soleil que les courans entraînent. Elle est déjà sur le toit des maisons dont les fenêtres irradient encore. Des essaims de voiles paraissent et disparaissent dans la verdure. Une fille lave son linge et caresse l’onde de ses bras charnus. Un château blanc surgit derrière les