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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/68

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REVUE DES DEUX MONDES.

Fatiguée, ce n’était pas assez dire ; la Reine était malade pour de bon cette fois et sérieusement malade. Tous les tracas qu’elle s’était donnés en cette année si pleine de tribulations et de heurts, elle les payait maintenant ; elle y avait laissé sa santé : « Ma santé n’est pas bonne, je souffre à présent de la poitrine, je ne puis respirer. Le lait d’ânesse passe cependant depuis quelques jours, mais je maigris de jour en jour davantage. J’ai eu bien du chagrin et bien souffert à Capo di Monte de ce que tu me traitais si mal, pour avoir eu une santé aussi dérangée. À présent, il n’est plus temps et tout revient, excepté la santé, mais je vois que sans le vouloir je vais t’affliger. J’espère avec des soins et un peu de temps me remettre et alors je demanderai à l’Empereur de partir ; mais à présent que je ne suis pas en état de faire le voyage, il serait inutile de le lui demander, car je te dirai qu’il me comble de bontés. L’Impératrice sort de chez moi ; elle est venue me faire visite et m’a trouvée au lit, car je ne me lève que le soir. Elle a été excessivement aimable et m’a demandé avec empressement de tes nouvelles… »

La névrose foncière de Caroline se compliquait alors d’accidens aigus. Son estomac crispé ne supportait plus la nourriture ; après chaque repas, si léger qu’il fût, elle était prise de douleurs violentes, de nausées et de vomissemens. À d’autres momens, c’étaient des malaises indéterminés qui la faisaient souffrir ; les variations de la température l’éprouvaient cruellement. En vain Corvisart, médecin et providence de la famille, l’assistait de son mieux et recourait à ses confrères ; il avait beau user des ressources de la médecine d’alors et prescrire tous les traitemens qui en ce temps-là guérissaient : lait d’ânesse, vin de kinkina, pilules de savon ( !) et vésicatoires, rien n’agissait durablement ; la Reine se sentait fondre et dépérir : « Je suis obligée de faire resserrer toutes mes robes ; » elle se disait « maigre comme un coucou, » elle se disait « aussi maigre que la reine Julie, » la pauvre reine Julie, la débile femme de Joseph, l’éternelle malade.

L’affection dont souffrait Caroline, il est vrai, n’était pas de celles qui abattent et totalement dépriment une femme énergique. Fatigues, malaises, souffrances et même les drogues les plus variées n’auront jamais tout à fait raison de cette frêle femme indomptable. Dans ses pires momens, elle se redresse pour faire face aux soucis et ennuis de tout genre dont elle est assaillie : embarras d’argent, nécessité de tenir tête aux