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bonnes grâces, ou même dégrevaient sans vergogne leurs parens et amis pour surtaxer leurs adversaires. De là, souvent, dans les moindres villages, des haines et des vengeances qui se perpétuaient à travers plusieurs générations.

Tant que le taux de l’impôt demeura modéré, les vices de la répartition, les abus de la collecte ne furent point ressentis d’une manière trop aiguë par la masse de la population. Ils devinrent plus sensibles quand les exigences sans cesse croissantes des dépenses de l’Etat eurent obligé la monarchie à augmenter considérablement le contingent des tailles. A partir de la fin du XVIIe siècle, les protestations s’élèvent de toutes parts. Les villes de l’Ile-de-France et de la Normandie s’insurgent les premières et réclament à grands cris la transformation d’un système d’impôt qui les ruine. A en croire les pétitions qu’elles adressent au Roi, « l’esprit de cabale et de vengeance, » provoqué par la répartition arbitraire de la taille, « aigrit les habitans au point que beaucoup d’entre eux prennent le parti d’émigrer » et transportent leurs familles ailleurs « dans l’espérance d’y trouver plus de douceur et d’être mieux traités dans leurs impositions... » Les bourgeois aisés s’empressent d’acquérir des charges les exemptant d’impôt et les rigueurs du fisc s’exercent sur les pauvres gens dénués de protection. Ainsi le commerce périclite, l’industrie se meurt.

Pour mettre un terme à une situation aussi lamentable et rétablir entre leurs concitoyens « la paix et la concorde, » plusieurs municipalités sollicitèrent l’autorisation de contracter des abonnemens et de payer le contingent qui leur serait assigné en établissant des droits d’octroi. L’administration accueillit favorablement les requêtes qui lui furent présentées en ce sens. De nombreuses localités, Pont-Audemer, Pontoise, Poissy, en profitèrent pour supprimer la taille et la remplacer par des taxes de consommation sur les boissons, la viande, les draperies, les cuirs, etc. Bien que fort lourdes, ces taxes furent acceptées comme un soulagement, et, pesant également sur tous, mirent fin à des discussions parfois centenaires.

Les droits d’octroi n’étaient applicables que dans les villes. Il fallait pour les campagnes trouver d’autres expédiens. Hommes d’Etat et économistes s’y ingénient et pendant les premières années du XVIIIe siècle, on voit éclore toute une série de mémoires tendant à faire cesser « le désordre des tailles. » Vauban