Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/711

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des bouchers était fixé, en 1777, à 88 livres ; celui des traiteurs, rôtissiers et pâtissiers à 43 livres ; celui des perruquiers à 52 livres 15 sous, des apothicaires à 20 livres, etc.

La répartition était effectuée d’après les résultats d’une enquête discrète que les corporations ouvraient sur la situation des affaires de leurs différens membres. Les rôles étaient établis au vu de notes semblables à celles que nous avons déjà citées : « Le sieur X... marchand drapier, vend beaucoup. Il a une grande maison au centre de la ville et doit être fort à son aise. » « Le sieur Y... a toujours largement vécu, il a les moyens de payer plus que sa contribution actuelle. « « Le sieur Z... est âgé de quatre-vingt-douze ans, il n’est plus en état de se donner les mouvemens nécessaires pour augmenter et étendre son commerce ; il ne serait pas juste de le taxer davantage, » etc.

On voit, sans qu’il soit nécessaire d’insister, combien tous ces renseignemens étaient vagues et sujets à caution. Comme l’écrivait non sans raison un contrôleur des vingtièmes, « les marchands eux-mêmes qui devraient mieux connaître l’étendue du commerce les uns des autres y sont attrapés les premiers : il y a des négocians très aisés que l’on ne soupçonne pas ; d’autres qui mènent grand train, que l’on croit riches et dont un beau jour l’on apprend la ruine. » Ces réflexions mélancoliques pouvaient au même titre s’appliquer à tous les contribuables : « L’habit ne pas fait le moine, » ni les apparences ne créent la fortune.


Ainsi, l’Ancien Régime a fait l’essai des formes les plus diverses d’impôt sur le revenu. Par la taille, la capitation, les vingtièmes, il s’est efforcé d’atteindre directement les fortunes, de frapper chaque contribuable proportionnellement à ses facultés. Il a multiplié dans ce dessein les ordonnances, les règlemens, les modifiant, les amendant sans relâche. Malgré ses efforts, il n’a pu parvenir à établir une législation stable. En vain, pour asseoir l’impôt d’une manière moins injuste, l’administration a-t-elle voulu s’immiscer dans les affaires privées de chaque famille, de chaque individu ; elle a exigé des déclarations compliquées, des justifications à l’infini ; en vain a-t-elle fait appel au concours de toutes les autorités locales ; des subdélégués, — ces ancêtres de nos sous-préfets, — des maires, des échevins, des notables. Poussée par la nécessité de se procurer