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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/713

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furent tous soumis au même traitement, imposés d’après les mêmes rôles.

Le régime créé par l’Assemblée Constituante a subi l’épreuve du temps ; dans son ensemble, il est encore en vigueur de nos jours ; sous les différens gouvernemens que la France a connus depuis un siècle, il a fonctionné avec une égale régularité et donné aux contribuables des garanties de justice et d’équité, qu’ils n’avaient connues à aucune autre époque. Ces bienfaits sont aujourd’hui méconnus. L’inviolabilité des affaires domestiques, le secret des transactions, toutes ces libertés fiscales pour lesquelles nos pères ont lutté et vaincu, paraissent actuellement aux partis avancés choses dédaignables. Sous prétexte de procéder à une répartition nouvelle des charges publiques, d’aucuns voudraient, par l’établissement d’un impôt général sur le revenu, faire revivre ces contributions personnelles qui fonctionnaient au temps de l’ancienne monarchie. Au cas où le projet actuellement soumis aux délibérations du Sénat viendrait à aboutir, le contribuable français, après plus d’un siècle d’indépendance, serait de nouveau astreint à fournir une déclaration complète de ses revenus, à faire en quelque sorte la confession publique de ses moyens d’existence, de ses ressources et de ses dettes ; de nouveau, il se trouverait exposé presque sans défense à l’arbitraire des agens de l’administration ; à chaque instant, il risquerait d’être la victime d’une dénonciation anonyme, de la vengeance d’un voisin qui aurait rédigé sur son compte une « fiche » calomnieuse.

Nos mœurs elles-mêmes contribueraient à rendre la perception d’un impôt personnel plus vexatoire et plus impopulaire qu’autrefois, car aux rivalités locales, aux inimitiés personnelles qui ont existé de tout temps, sont venues s’ajouter dans nos communes de nouvelles causes de division ; nous voulons parler, on le devine, des ressentimens provoqués par nos querelles politiques. On sait si les hommes qui détiennent le pouvoir se font scrupule de mettre au service de leur parti les faveurs administratives dont ils peuvent disposer, les places, les distinctions honorifiques ; avec l’impôt sur le revenu, ils jouiraient d’un nouveau moyen d’influence et feraient sans vergogne taxer chaque contribuable d’après ses votes, d’après son attitude électorale. On verrait les moindres hobereaux de village s’arroger, suivant l’exemple des grands seigneurs de jadis, le droit de faire attribuer