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On ferait rire si on soutenait qu’il en est encore de même aujourd’hui. Le meilleur moyen d’avancer n’est plus de faire son devoir, mais de s’assurer des protections. Il faut être, pour cela, souple et complaisant, et sans doute aussi rendre des services, mais des services politiques ou, pour mieux dire, électoraux, car c’est à cela que tout se ramène et se réduit. La source de nos maux est là. Lorsque la conviction est entrée profondément dans les esprits que, suivant un vieux mot, « le savoir faire vaut mieux que le savoir, » et même que le devoir, certaines conséquences pratiques en découlent inévitablement. Nous les voyons se produire autour de nous. Les surveillans ne surveillent plus, les contrôleurs ne contrôlent plus, ou bien ils le font d’une manière intermittente et distraite, et les hommes dont la conscience est faible, ou même nulle, usent sans scrupule des facilités qui leur sont données. Comment en serait-il autrement ? Si quelque chose nous étonne, c’est que la « gangrène » morale, dont M. le ministre de la Justice a parlé à la tribune, ne soit pas encore plus répandue. Nous ne voulons, en effet, rien exagérer ; les malhonnêtes gens sont l’exception ; mais, tout de même, on en découvre trop à la fois.

Pour en revenir à M. Duez, puisqu’il faut bien parler de lui, évidemment sa défense morale contre les séductions dont il était entouré a toujours été insuffisante, et on s’étonne qu’une charge aussi délicate que celle de liquidateur de congrégations religieuses lui ait été confiée. Qu’on ait pu, à l’origine, se tromper sur son compte, soit ; mais il n’a pas tardé à devenir suspect et, pendant longtemps encore, il n’en a pas moins été maintenu dans ses fonctions. On ne les lui a enlevées que lorsqu’il a été impossible de faire autrement. M. le président du Conseil a dit à la tribune que la presse avait été pour lui particulièrement bienveillante, et que, au Palais, il jouissait d’une confiance imméritée sans doute, mais générale. Ces prémisses lui ont permis de conclure que lui seul avait de tout temps refusé sa confiance à M. Duez ; que lui seul avait, presque dès l’origine, vu clair dans son jeu ; que lui seul enfin avait ordonné des mesures qui, si elles avaient été prises, auraient prévenu la catastrophe. Mais voilà le malheur : elles n’ont pas été prises. M. Briand a donné lecture de lettres qui lui font honneur. Peut-être a-t-il le tort de croire qu’un ministre a rempli et épuisé tout son devoir lorsqu’il a écrit des lettres parfaites ou qu’il a prononcé des discours excellens. Nous sommes convaincu que, s’il lisait aussi à la tribune les lettres qu’il adresse à ses préfets pour leur recommander la neutralité électorale et leur interdire les pratiques de la candidature officielle, l’approbation serait