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A vrai dire, pareilles aspirations, si audacieuses qu’elle semblent, sous ces lourdes coupoles bulbeuses ou en ces couvens aux épaisses murailles de forteresse, ne datent pas entièrement d’hier. Il faut reconnaître, à l’honneur de la Russie et de son Eglise, qu’il y a toujours eu, sur le sol russe, quelques âmes assez hardies ou assez mystiques pour rêver de renouvellement et d’émancipation. Mais, naguère, pareils songes étaient rares, isolés et le plus souvent muets. Alors même qu’ils n’étaient pas étouffés sous le double poids des autorités civiles et des autorités ecclésiastiques qui pesaient, de concert, sur le clergé et sur les fidèles, ils demeuraient forcément impuissans. Ainsi des rêves de rénovation de feu mon ami, Vladimir Solovief, qui, pour libérer et rajeunir son Eglise, avait osé entreprendre de la réunir à Rome. Depuis l’aube du siècle nouveau, depuis l’ébranlement communiqué à la Russie et à toutes les choses russes par les armes japonaises et par ce que Moscou et Pétersbourg nommaient déjà prématurément leur révolution, de pareilles aspirations ont pu impunément se faire jour et s’affirmer.

L’Eglise, comme l’Etat, a passé, durant les quatre ou cinq dernières années, par une crise où, à certaines heures, tous les changemens, toutes les transformations ont paru possibles et faciles. Vladimir Solovief avait prédit, en une strophe devenue célèbre, après la défaite, le triomphe des « Jaunes, » annonçant, à ses compatriotes incrédules, que les armes des soldats du Tsar Blanc serviraient de jouets aux enfans des Asiates. Solovief, mort de longs mois avant la guerre, était un voyant, aussi bien qu’un poète et un philosophe ; je ne sais si, dans ses rêves les plus hardis, il eût osé prévoir que les victoires lointaines de ces païens asiatiques auraient leur contre-coup sur son antique Eglise, pourraient devenir, pour elle aussi, le point de départ d’une ère de renouvellement. C’est cependant ce qui, durant des mois et des années, a paru vraisemblable, ce qui, malgré tout, n’est pas encore impossible.

L’Eglise, qui non moins que l’autocratie a fait la Russie, tient une trop grande place dans son histoire, dans ses institutions, dans toute sa vie nationale, pour que, aux heures solennelles où tous les cœurs russes s’échauffaient pour la rénovation de l’Etat et de la patrie, la vieille mère Eglise fût oubliée. Aussi, durant la guerre russo-japonaise et les années qui suivirent, grande fut l’agitation en son sein et autour d’elle.