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grand et du plus absolu de ses prédécesseurs. Il pouvait sans ébranler l’autorité du trône, avec l’espoir même de la raffermir, relever l’ascendant de l’Eglise en relevant le siège patriarcal. De cette restauration, il semblait même en droit d’espérer un double avantage. Comme souverain, en fortifiant l’Eglise, il renforçait les influences conservatrices ; comme prince orthodoxe, en lui rendant un pasteur suprême, il faisait rentrer l’Eglise russe dans le cadre traditionnel des institutions canoniques de l’Eglise d’Orient. De cette façon, il rehaussait le prestige de l’Eglise nationale, au dehors comme au dedans. Et pour cela, il n’eût même pas été besoin d’altérer profondément la constitution collégiale imposée par Pierre le Grand à son Église. Le Très-Saint-Synode eût continué à siéger à côté du patriarche et, au besoin, à gouverner avec lui. Par la force même des habitudes bureaucratiques, la restauration du patriarcat eût peut-être été en fait plus nominale que réelle ; le titre, non l’autorité effective, eût été restauré. Le patriarche ne devait du reste plus siéger en son antique métropole, au Kremlin de Moscou, « la troisième Rome » héritière des deux autres, comme la saluaient, après la chute de Constantinople, les hiérarques d’Orient qui avaient consenti et applaudi à l’érection de ce cinquième patriarcat. Le futur patriarche devait résider à l’ombre du souverain et des ministres, dans la nouvelle capitale, au couvent de Saint-Alexandre Nevsky, tout comme aujourd’hui le métropolite de Saint-Pétersbourg, président de droit du Saint-Synode. C’était du reste au métropolite actuel de Pétersbourg, Mgr Antoine, que devait revenir, du consentement général, la nouvelle dignité. Les sceptiques disaient déjà que ce ne serait pour lui qu’une sorte de promotion honorifique. Pour qui a vu le premier prélat de l’Eglise officier, solennellement, en la salle Saint-Georges du Palais d’hiver, lors de l’inauguration de la première Douma, pour qui l’a entendu, au Palais de Tauride, adresser ses vœux de bonheur et de prospérité aux premiers représentans de la nation, il semble que la tiare patriarcale n’eût pas été déplacée sur un tel front.

Pourquoi, après y avoir paru décidé, le gouvernement impérial n’a-t-il pas encore rétabli la dignité patriarcale ? C’est sans doute que, depuis l’ouverture de la troisième Douma et l’accalmie, au moins relative, qui a suivi les orageuses années précédentes, le gouvernement, raffermi et rassuré, ne se sent plus