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relever, aux yeux du peuple, l’ascendant de l’Eglise que d’effectuer en son sein les réformes nécessaires[1].


IV

Les schismatiques, les « vieux-croyans » popovtsy ont pu tenir, récemment, à Moscou, en leur célèbre cimetière de Rogogski, un concile solennel. Il est douteux que l’Eglise nationale, embarrassée dans ses privilèges, obtienne l’autorisation de réunir le sien. Plus que jamais, il est manifeste que pour l’Eglise russe, comme pour toute autre Eglise, les privilèges se paient, et que la rançon du privilège est la liberté. Nombreux sont parmi les Russes orthodoxes ceux qui le comprennent et ceux qui le regrettent ; mais ni parmi les laïques, ni surtout parmi le clergé, ils ne sont aujourd’hui la majorité. L’heure des hautes espérances et des vastes revendications semble déjà passée, A l’élan des aspirations audacieuses qui a suivi la guerre ont succédé la déception et la dépression. Dans tous les domaines aujourd’hui, dans l’Eglise comme dans l’Etat, la bureaucratie, dont naguère encore les Russes semblaient unanimes à vouloir briser le joug, est en train de rétablir son omnipotence ancienne. Elle survit à la charte du 17 octobre ; elle survit au régime constitutionnel dont l’inauguration en paraissait devoir marquer la chute.

Dans le clergé, non moins que dans les administrations civiles, les influences rétrogrades menacent de reprendre leur vieil ascendant. Le clergé orthodoxe compte plus de trente représentans à la troisième Douma. Les plus en vue, les plus écoutés, tels que l’évêque Eulogius, sont des nationalistes passionnés, toujours enclins à faire appel contre les dissidens au bras séculier et à la puissance autocratique. Quelques prêtres isolés, s’intitulant « progressistes, » ont essayé de former, dans cette troisième Douma, un petit groupe qui prétend s’inspirer de

  1. Les récens débats de la Douma sur le budget du culte orthodoxe ont montré le peu de crédit des évêques, alors même que, avec Mgr Mitrophane et Mgr Eulogius, ils se plaignent de l’assujettissement de l’Église et réclament des réformes au moyen d’un Concile. Leurs trop fréquentes complaisances pour les « Hommes Russes » et les partis d’extrême Droite enlèvent à leurs revendications presque toute autorité. En revanche, le discours véhément du député Karaoulof contre le haut clergé et les abus de l’administration ecclésiastique a fait une vive impression sur la Douma et a eu, au dehors, un grand retentissement dans le clergé comme parmi les fidèles.