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même, sur quelques points isolés, malgré le peu d’encouragemens de l’Église et des autorités de tout ordre, de trop rares fils de l’Église orthodoxe[1] ? Pourquoi l’Église et le clergé semblent-ils ainsi reculer devant ces œuvres sociales qui, dans les deux mondes, attirent partout, aujourd’hui, l’élite des chrétiens de toutes les confessions ? Est-ce qu’ils ne sentent point qu’il y a là, pour l’Église et pour la charité chrétienne, une tâche nouvelle et rénovatrice qu’il est dangereux et coupable d’abandonner aux fauteurs de l’incrédulité et aux apôtres de la révolution ? Est-ce que, engourdis par le formalisme séculaire ou avilis par la sujétion bureaucratique, l’Église, le clergé, leurs fidèles sont devenus si étrangers à l’esprit évangélique que, n’ayant aucun désir de réaliser le royaume de Dieu, ils ne sentent pas que des chrétiens ne sauraient demeurer indifférens aux plus nobles aspirations contemporaines ?

Non ; chez plus d’un Russe orthodoxe, l’esprit de charité et de fraternité évangélique demeure encore vivant, sous le lourd formalisme bureaucratique, mais, chez eux, tout rêve, tout projet d’action sociale, d’action collective surtout, est étouffé par la rigueur des lois ou par la défiance des autorités. Pour aller au peuple, pour le disputer à la propagande antichrétienne ou révolutionnaire, pour fonder des œuvres sociales, il faut deux choses interdites encore à l’Église comme à ses enfans, deux choses que la liberté pourrait seule leur donner : l’esprit d’initiative et des garanties légales. Aussi ne saurions-nous être surpris de l’affaissement moral qui a si vite succédé aux courtes heures d’exaltation des récentes années. Prêtres ou laïques, les fils les plus dévoués de l’Eglise semblent revenus des hautes espérances de naguère ; déçus ou découragés, ils sentent que le plus sûr pour des Russes est de se défier des idées nouvelles, de renoncer aux initiatives non autorisées. Au sein du clergé surtout, les hommes qui s’étaient brusquement éveillés, au bruit lointain du canon de Mandchourie et aux troublans appels de la révolution, sont pour la plupart retournés à la somnolence traditionnelle ; ils dorment ou font semblant de dormir, remettant à des jours

  1. La plus remarquable de ces œuvres sociales orthodoxes est sans doute la « Confrérie ouvrière de l’Exaltation de la Sainte-Croix, » créée dans le gouvernement de Tchernigof par Nicolas Néplouief, œuvre à laquelle cet homme de bien a consacré toute sa fortune et qui lui survit encore aujourd’hui. Voyez N. Néplouief, la Confrérie ouvrière et ses écoles, Paris, Alcan, 1906.