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rupture aujourd’hui réalisent les conditions de pénétration et de sensibilité suffisantes pour traverser les blindages légers et éclater derrière eux. Dans le duel entre le canon et la cuirasse, c’est le premier qui l’emporte. La pièce de 356 millimètres de la marine américaine doit perforer 30 centimètres d’acier à près de 9 000 mètres, c’est-à-dire la plus épaisse des cuirasses actuelles aux environs de la plus grande portée de combat.

Nous avons trouvé jusqu’ici deux raisons à l’accroissement des tonnages : l’une tient à l’artillerie, l’autre à la protection ; il en est une troisième, relative aux vitesses. En 1888, quand la marine française construisait le Marceau, elle se contentait de lui demander 16 nœuds au maximum. Quatre ans plus tard pour le Brennus, on en exigeait 17,5. En 1899, le Suffren n’était encore établi que pour 18 nœuds. Depuis lors, il a fallu monter jusqu’à 19. Mais le premier Dreadnought anglais lancé en 1906 atteint déjà 21 nœuds et le Lion qu’on met en chantier à Devonport dépassera, dit-on, 25. Il en serait de même du H allemand. Cette progression, qui se manifeste partout, à l’occasion des bâtimens de commerce comme des bâtimens de guerre, et mène les contre-torpilleurs jusqu’à des vitesses de 33 et même 36 nœuds aux essais, répond à des avantages militaires particuliers. En ce qui concerne les cuirassés, il est d’abord utile de ne pas laisser s’établir à leur préjudice une trop forte disproportion par rapport aux flottilles qui les poursuivent pour les torpiller ; et le motif a surtout sa valeur en considération des sous-marins, contre lesquels la meilleure défense, jusqu’ici, reste une allure assez vive pour ne pas leur permettre de joindre leur proie en plongée. Par ailleurs, il paraîtra superflu d’insister sur les bénéfices stratégiques d’une marche rapide des escadres : ils n’échapperont à personne. Mais l’intérêt tactique en est plus discuté. Point de doute néanmoins qu’en soi-même la supériorité de vitesse ne rende des services importans sur le champ de bataille, en permettant de s’assurer le choix des positions relatives.

Seulement il en faut aussi voir les inconvéniens. Ils se résument en ceci, que la vitesse, tout en restant une valeur secondaire par rapport aux deux autres élémens : artillerie et protection, — et de sa nature assez fragile, — absorbe pour ses