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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/905

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Dirons-nous, après cela, que les Promessi Sposi soient le plus grand ouvrage d’apologétique du siècle ? Dirons-nous, comme on l’a prétendu, que la conversion de Manzoni fut infiniment plus importante que celle de Chateaubriand ? — Ce serait le lieu d’instituer ici un parallèle littéraire et philosophique, à la manière ancienne : on ferait ressortir le pour et le contre, avec art ; et on aurait la joie d’accumuler d’ingénieuses considérations. On discuterait longtemps. On montrerait qu’à considérer l’esprit de la doctrine, l’auteur des Hymnes l’emporte incontestablement sur l’auteur de René : rien qui ressemble à du clinquant sur sa robe de néophyte ; aucun mot, dans les paroles qu’il prononce, ne sonne faux à l’oreille ; aucun détail ne vient nous choquer ; pas de raisonnement qui étonne tout d’un coup par sa maladresse ou qui afflige par son ridicule, quand on se croyait en pleine beauté. Mais on considérerait aussi, sagement, que dans la pratique, les idées les plus belles et les plus pures ne sont pas toujours celles qui ont le plus d’effet : il en faut qui répondent à des besoins donnés. Alors on dirait qu’au point de vue du retentissement et de l’influence, Chateaubriand l’emporte peut-être. D’abord, parce qu’il commence : celui qui commence semble avoir agi davantage, ensuite, parce que, à tort ou à raison, Paris, le Paris glorieux de Bonaparte consul et de Napoléon empereur, est le théâtre du monde, et compte les spectateurs par millions : tandis que la scène de l’Italie est encore étroite, et l’écho des paroles qu’on y fait entendre porte moins loin. Puis encore, parce que nous ne voyons pas, en Italie, la coïncidence qui unit comme dans une même manifestation le Te Deum chanté à Notre-Dame en l’honneur du Concordat, et l’article de Fontanes annonçant dans le Mercure l’apparition du Génie du Christianisme. Il n’y a pas le retour du peuple vers les églises, que Bonaparte et Chateaubriand créent moins qu’ils ne le consacrent, parce qu’il n’y a pas eu abandon. Voilà les idées qu’on pourrait développer. Mais nous estimons qu’en ces matières, il est trop difficile de donner des rangs et des places : et quand nous le croirions plus facile, nous ne le ferions pas encore. Ce sont là de bien vaines compétitions, puisqu’elles n’ont jamais existé dans les faits : et le résultat de ces discussions posthumes est d’engager des querelles présentes. Plus d’action que celui-ci, moins d’action que celui-là, — qu’importe, pourvu que chacun en ait une, ayant fait ce qu’il croyait