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LE MONTENEGRO ET SON PRINCE.

de base sous la montagne. À ce prix seulement Antivari deviendra un grand port.

La jolie baie de Dulcigno, presque fermée, comme une voûte de style arabe, a été jadis un merveilleux repaire de pirates, mais elle est trop étroite et trop peu profonde pour devenir un port moderne. Dulcigno sera une délicieuse plage de bains de mer lorsque Scutari sera devenue une ville civilisée et aura construit une route et un pont pour franchir les 30 kilomètres qui la séparent de Dulcigno où l’on ne peut aller aujourd’hui qu’à cheval par de mauvais sentiers. L’avenir de Dulcigno est encore lointain ; il suppose bien des millions dépensés, une régénération profonde de l’Empire ottoman et une adaptation complète de la vie monténégrine aux nécessités modernes.

Emigration de Monténégrins à l’étranger, introduction de nationaux et de capitaux étrangers au Monténégro, contacts de plus en plus nombreux avec l’extérieur, transformation progressive des moyens de production, devaient avoir pour conséquence une rapide transformation des mœurs et de l’organisation sociale. Cette évolution, il fallait la préparer en répandant l’instruction. Avant le prince Nicolas, elle existait à peine ; il fallut tout créer avec les maigres budgets de la Principauté ; on commença par organiser un corps d’instituteurs ; avec beaucoup de précautions on les fit agréer dans les communautés de villages. L’instruction primaire est devenue obligatoire depuis 1906. Un gymnase, une école de théologie et de pédagogie pour les prêtres et les instituteurs ont été créés à Cettigne. Une école supérieure pour les jeunes filles, y prospère depuis 1869. Tout un réseau scolaire, très méritoire pour un si petit pays, a été institué. Enfin bon nombre de jeunes Monténégrins, soit avec leurs propres revenus, soit à l’aide de bourses données par le prince, ont fait, dans les grandes universités européennes, des études supérieures ; ils forment aujourd’hui l’élite cultivée du peuple monténégrin, apte à la vie et aux fonctions publiques.

À l’évolution des mœurs doit correspondre l’évolution des lois. Le prince Nicolas résolut de donner à ses sujets un code civil nouveau, mais il prit garde de n’apporter dans les lois que des change mens que les mœurs sanctionnaient par avance. Il eut la bonne fortune de rencontrer en Baltazar Bogisic (prononcez Boghichitch) le législateur dont il avait besoin. M. Bogisic, mort au printemps de 1908, était un savant ragusain devenu