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REVUE. — CHRONIQUE.

Arrivé à Marseille, M. Cher on a prononcé beaucoup de discours ; passant d’un bateau à un autre, il a harangué copieusement les inscrits et les a rappelés au sentiment de leur devoir ; il a fait appel à leurs vertus civiques et n’a pas mis en doute que ces exhortations seraient entendues. L’ont-elles été ? Un très grand nombre d’inscrits sont bien remontés sur les paquebots et y ont repris leur service ; mais M. le sous-secrétaire d’État n’avait heureusement pas négligé de mêler quelques autres procédés aux procédés purement oratoires, et il est difficile de savoir si ce sont ceux-ci ou ceux-là qui ont été le plus efficaces ? Il a donné l’ordre d’intenter des poursuites contre plusieurs inscrits particulièrement compromis dans la grève. Appelés à comparaître devant le tribunal, un seul l’a fait ; les autres, habitués à ne tenir aucun compte des lois, ont bravé avec arrogance l’application qui leur en était faite ; mais, à leur grande surprise sans doute, ils ont été incontinent arrêtés. L’émotion a été très vive parmi les grévistes. M. Chéron a été conspué dans leurs réunions et dans leurs journaux ; on l’a accusé d’avoir trompé les inscrits par une fausse bonhomie qui se changeait subitement en férocité. M. Rivelli, célèbre par tant d’autres grèves qu’il a suscitées et qui a pris naturellement la direction de celle-ci, ayant voulu élever la voix, a été lui aussi l’objet d’une poursuite. La Confédération générale du Travail, la C. G. T. étonnée, indignée, mais surtout alarmée, a envoyé à Marseille un représentant qui n’y fait pas jusqu’à présent grande figure. Bref, M. Chéron, en quelques jours, est devenu maître de la situation, et il aurait pu dire comme César : Veni, vidi, vici, si la brièveté était dans sa manière.

Au moment où nous écrivons, la grève n’est pas finie et on fait un suprême effort pour la généraliser ; il reste encore 3 ou 400 grévistes sur 8 000 inscrits ; mais la plupart de ces derniers sont remontés sur les paquebots qui partent régulièrement. Les manquans ont été tout simplement remplacés par des marins de l’État. En un mot, on a fait sentir aux inscrits qu’on pouvait se passer d’eux, ce qui était le meilleur moyen de les avoir à sa disposition. Et c’est dans ce sens qu’il faut chercher, pour l’avenir, la solution des difficultés sans cesse renaissantes dont l’origine est dans le privilège attribué aux inscrits maritimes. On a parlé de supprimer ce privilège, mais on ne l’a point fait. Le jour où on l’aura fait, les inscrits, qui prendront sans doute un autre nom, seront plus traitables. Leurs exigences actuelles viennent de ce que, n’ayant à craindre aucune concurrence dans l’exercice de leur profession, ils se croient maîtres d’imposer