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sommes, — quatre cents mètres plus bas que le niveau des autres mers. Mais l’air qui baigne ces hauteurs de Judée est si pur qu’elle paraît toute proche, — et sa largeur est telle que, tout ensevelie qu’elle soit, elle émerge triomphalement de son entonnoir et s’étale par-dessus les ondulations montagneuses du désert de Juda, comme un lac voisin du ciel, dans le cratère d’un haut volcan.

Entrevu tout de suite, dès les premières minutes de l’arrivée, ce mirage de la Mer Morte vous obsède presque continuellement à Jérusalem. Pour peu qu’on s’élève au-dessus des maisons de la ville, il surgit à l’improviste. Il vous hante aux lieux historiques ou légendaires et se mêle insidieusement aux souvenirs sacrés. De tous ces lieux vénérables, celui où la vision de l’Asphaltite s’impose avec le plus de force et de splendeur, c’est peut-être sur la crête du Mont des Oliviers, à ce tournant de la route de Galilée, où la tradition place l’Ascension du Sauveur, et que les Latins désignent sous le nom de Viri Galilæi. Il y a là un couvent grec, avec, au frontispice, une inscription qui vous évoque immédiatement la scène évangélique : les Apôtres, les yeux attachés à la nuée qui emportait Jésus et les deux inconnus vêtus de blanc qui survinrent et qui leur dirent : « Hommes de Galilée, que restez-vous ainsi à regarder au ciel ? » Et, tandis qu’on retrouve au fond de sa pensée et de son cœur l’éblouissement du clair matin d’avril où le mystère s’accomplit et que, comme les apôtres, on lève les yeux vers les profondeurs du ciel, voici que, du côté de l’Orient, se dresse un prodigieux paysage, si suave de grâce et de mollesse païenne que la vision pieuse s’y évanouit. L’Asphaltite est là ! Sodome, Gomorrhe ! les villes voluptueuses qui dorment sous ses eaux ! On ne se rappelle même plus qu’elles sont maudites, qu’il y a sur elles un voile d’horreur et de laideur infernales. On se laisse aller à l’attirance ensorcelante des eaux mortes où elles reposent... Elles ont l’air si douces, ces eaux perfides aux couleurs de turquoises mourantes, qui vont changer encore les jeux délicieux de leurs nuances avec les heures du jour[1] ! On dirait qu’elles accourent vers Jérusalem, qu’elles vont investir de leur débordement la Cité sainte et la submerger !... Illusions, prestiges, fantasmagories des sables ? On doute un

  1. Déjà l’historien Josèphe avait noté ces différences de coloration.