Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/140

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fiévreuse n’aurait pas nui à l’exactitude de sa description, s’il s’était trouvé alors dans des conditions normales. Or, son propre récit nous prouve qu’il visita la Mer Morte dans les conditions les plus désagréables et les plus désavantageuses. Il était exténué de fatigue : cela se comprend, quand on réfléchit à l’énorme trajet qu’il accomplit en si peu de temps, à cheval, ou à mulet, par des chemins atroces, sous un soleil toujours brûlant. Il avait souffert du manque d’eau et des nourritures grossières. Mais cela ne serait rien encore : le pis, c’est que, d’un bout à l’autre de son voyage, il eut une peur affreuse d’être assassiné par les Bédouins, ou même par les émissaires du Pacha de Jérusalem. Pour peu qu’on le lise attentivement, on devine que cette peur lui empoisonna ses rares minutes de plaisir ou d’exaltation. Le moindre burnous qui surgit à l’horizon l’affole, lui suggère des visions de massacre et d’embuscades. Ses guides de Bethléem n’auraient pas été les rusés coquins qu’ils sont encore, s’ils n’avaient exploité habilement ses terreurs. Ils en profitèrent pour abréger le plus possible les haltes et les excursions en dehors du trajet convenu. A les en croire, il était imprudent de s’aventurer dans telle direction, on risquait sa vie de vouloir s’arrêter ici ou là. Nul doute que le malheureux grand homme n’ait eu à soutenir des disputes perpétuelles avec ces canailles. Sans cesse on le sent tiraillé entre sa curiosité et l’appréhension de quelque mauvais coup.

Et, naturellement, les guides, insatiables, le harcelaient pour obtenir une augmentation de salaire, en raison des difficultés ou des dangers imaginaires de la route. Si l’on tient compte de tous ces désagrémens, si l’on se rappelle qu’à Saint-Saba, quelques heures avant l’arrivée à la Mer Morte, son drogman lui avait soutiré une somme, que sous les murs du couvent, les gens de son escorte en étaient venus aux mains avec une bande de Bédouins, pour une question d’argent, on peut conjecturer en toute certitude l’humeur de M. de Chateaubriand, — peu endurant de sa nature, — lorsqu’il fut en présence de l’Asphaltite.

Mais ce n’est pas tout. Osons scruter le fond de sa pensée !... Il y a une vérité affligeante qu’on entrevoit à travers les sublimités de ses phrases : c’est que toute cette Palestine l’ennuyait démesurément. Il n’est pas bien sûr que la Grèce elle-même l’ait ravi davantage. En tout cas, des gens qui l’y ont rencontré