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Bientôt, l’espace entier n’est plus qu’un grand jardin de couleurs et de splendeurs, au-dessus du petit jardin fleuri de l’oasis. Les palmes frissonnent, les oranges mûres luisent entre les feuilles. Des effluves de fièvre montent des canaux. Une douceur, une volupté morbide se répandent dans l’air avec la fraîcheur nocturne et les voiles de carmin qui traînent aux quatre coins du ciel.

Alors, on se rappelle les Royaumes qui furent offerts à Jésus sur la montagne de la Quarantaine par le Démon tentateur… Les Royaumes ! Quel beau nom sonore et fascinateur ! Sans doute, c’était la royauté du monde que Satan offrait au Christ. Mais, cette royauté terrestre, aucune image plus glorieuse ne pouvait en être évoquée aux yeux que par cet immense corridor de plaines et cette succession triomphale de sommets qui s’étendent de l’Idumée à l’Hermon. Au pied du désert de sainteté, se déroule la terre de joie et d’opulence, le Pays du baume et des aromates, que convoitèrent les luxurieux et les puissans.

À deux pas d’ici, le palais d’Hérode développait les colonnades de ses exèdres, dans tout le faste de la ville nouvelle, maudite par les Prophètes. Cléopâtre d’Egypte y oublia les délices de Canope. Elle s’y plut : c’est tout dire. Jéricho et la Mer Morte lui valurent Alexandrie et les rives du Nil. Là-haut, à Machærous, dans le château aérien, qui dominait les eaux du lac, Salomé dansa, Hérodias s’accouda sur la balustrade de la terrasse. Plus près de la Fontaine, sur l’éminence sablonneuse qui la surplombe, se resserrait la vieille Jéricho païenne et légendaire, celle dont les trompettes d’Israël firent tomber les murs et qui fut livrée à Josué par l’entremise de Rahab, la bonne courtisane… Rahab, Hérodias, Salomé, Cléopâtre, ces figures féminines symbolisent les enchantemens de l’Asphaltite. Femmes de plaisir, elles expriment la sensualité magnifique de ce pays. Elles y règnent toujours, elles sont les reines éternelles des Royaumes ! Elles y reviendraient aujourd’hui que, tout de suite, leurs pareilles les reconnaîtraient comme des sœurs.

Nous-mêmes, les hommes du Nord qui venons de si loin, qui sentons nos âmes si éloignées des leurs, nous ne pouvons