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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/218

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et pendant la guerre sino-japonaise, on vit les provinces qui n’étaient pas menacées se préoccuper assez peu de la défense nationale. En 1900, même les vice-rois du Yang-tsé conclurent, en pleine guerre, des traités avec les chefs des armées alliées, et immobilisèrent leurs troupes dans leurs provinces. Il semblait que ce fût un autre pays qui fût en guerre, non la Chine ; on aurait dit que les vice-royautés et les gouvernemens chinois formaient comme autant d’Etats dans l’Etat ; les habitans d’une province ne se souciaient des événemens dont les provinces voisines étaient le théâtre que si ces événemens les touchaient directement. Devant le péril extérieur, toutes ces patries fragmentaires ont reconnu leur parenté. L’amour pour la patrie commune est inculqué dans toutes les écoles : les maîtres commentent les défaites antérieures de la Chine et exaltent le courage des Européens pour provoquer chez leurs élèves le désir de les égaler et de les surpasser ; aux examens, à la place des dissertations oiseuses, on donne des compositions où les candidats doivent faire preuve qu’ils connaissent les difficultés où se débat la Chine et rechercher les moyens d’en triompher. Le sentiment patriotique est même devenu tellement intense parmi la jeunesse cultivée qu’il tire au chauvinisme. La Chine aux Chinois, tel est le mot de ralliement. Les innombrables sociétés qui existent dans le pays ont adopté des chants de marche où est célébré le dévouement à la patrie et provoquée la haine de l’étranger. Chez le peuple se développe le sens de sa propre personnalité, et la grande patrie a pris conscience d’elle-même.

C’est surtout par la lecture des journaux qu’on peut se rendre compte de la transformation de la vie sociale et politique de la Chine et de la véhémence du sentiment patriotique et militaire qui anime aujourd’hui la masse de la population. La presse chinoise est née du mouvement réformiste. Auparavant, existait bien, il est vrai, le Pékin-pao, c’est-à-dire le Journal de la Capitale qui aurait commencé de paraître, au dire des Chinois, au IXe siècle de notre ère. Mais ce journal, réduit à un très petit nombre de feuilles avec un tirage extrêmement restreint, ne relatant guère que les faits et gestes du gouvernement et de la Cour, n’avait pas d’importance, et son influence réformatrice était nulle. Ce n’est pas dans ce vénérable ancêtre qu’il faut chercher l’origine de la presse contemporaine, mais bien dans les libelles et les pamphlets imprimés ou passant pour être imprimés à