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LA TRANSFORMATION DE LA CHINE.

Ignorans souvent du dialecte de leur nouveau poste, ils sont dans les mains de satellites, inamovibles eux, et toujours originaires de l’endroit ; et ils ne songent qu’à ramasser le plus d’argent possible, sourds aux réclamations qu’ils n’entendent plus lorsque l’expiration de leur mandat les envoie dans une autre localité de l’Empire. Des fonctionnaires de grade élevé auraient, dit-on, recueilli, pendant la durée de leurs fonctions, bien qu’ayant un traitement infime, des sommes qui leur auraient, non seulement, permis de rembourser la banque qui avait prêté, mais encore d’enrichir eux et leur famille.

Toutefois les extorsions des mandarins sont, d’ordinaire, contenues dans de certaines limites par la force de résistance de leurs administrés et la peur des dénonciations. Les magistrats sont tous responsables de la bonne administration et du bonheur du peuple vis-à-vis de l’Empereur. Tout mandarin qui commet des exactions au point de susciter une révolte ou un mécontentement général, est sûr d’être remplacé dans son emploi ou puni. En outre, le tribunal des censeurs est là qui prend connaissance de la conduite de tous les fonctionnaires, de l’Empereur lui-même, et les juge. La hardiesse de ces censeurs est parfois extrême. L’un d’eux attaque à la fois Li-Hung-Chang et Tsen-Yu-Ying, vice-roi du Yunnam, qui accordaient toutes les faveurs à leur famille et réservaient à leurs fils et à leurs neveux les meilleures places de l’Empire, et alla jusqu’à s’en prendre à la terrible impératrice Tseu-Hsi qui, disait-il dans son rapport, « s’est toujours interposée sans aucun droit dans les affaires de l’Etat et aura à répondre de sa conduite aux ancêtres impériaux et à la confiance et à la loyauté de la nation. » Hâtons-nous d’ajouter aussi que parmi les mandarins tous ne sont pas cupides et prévaricateurs ; il en est de probes et d’honnêtes : tel le fameux Tso-tsung-tang, gouverneur du Kansou et du Chensi, qui, après une campagne mémorable de plusieurs années, mit fin à la révolte d’Yacoub-beg et reconquit le Turkestan chinois et la Dzoungarie. Après avoir manié des millions, il laissa à sa mort sa famille dans une pauvreté telle que son fils, mandarin à Pékin, étant mort à son tour, la famille dut avoir recours à des amis pour payer les frais des funérailles.

Dans ces dernières années le gouvernement a fait de nombreuses tentatives de réforme administrative et plusieurs édits ont été lancés pour interdire toute concussion aux mandarins.