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« Tiers-État » s’est assuré les conditions d’une existence régulière et forte. Dans toutes les villes, la religion franciscaine a été accueillie et très justement comme la religion propre de la bourgeoisie et du peuple. Simultanément, la main dans la main, les bourgeois et les moines mendians sont arrivés au premier plan de la vie sociale. Et c’est de leur collaboration qu’est né un art nouveau : ce que prêchait le moine, le laïque le réalisait. »

Dans la vie comme dans l’art, cette rénovation s’accomplissait, la conjuration s’étendait ; la terre se minait sous les pas de l’aristocratie féodale et ecclésiastique : « ce que prêchait le moine, le laïque le réalisait[1]. »

On a dit, avec raison : « Il y a quelque chose de saint François chez tous les mystiques du XIVe et du XVe siècle[2]. » Et on a remarqué aussi que le développement, sinon la création de tous les ordres religieux pendant ces deux siècles, se sont produits en France[3]. Saint Dominique y vint de la Castille, saint Thomas d’Aquin de l’Italie, saint Antoine de Padoue du Portugal, saint Vincent Ferrier de l’Espagne. Quant à saint François d’Assise, ses origines morales sont étroitement françaises : il ne chantait les louanges du Seigneur, à son gré, qu’en français.

La plupart de ceux qui s’épouvantaient du sort de la catholicité et de l’humanité s’étaient habitués à l’idée que la cause de l’Église était étroitement jointe à celle de la France et que la chute de l’une eût entraîné la perle de l’autre.

La royauté française avait imposé cette conviction au monde par l’autorité du fait. En mettant la main sur le vicaire du Christ et en l’établissant, bon gré, mal gré, à Avignon, elle avait prouvé qu’elle tenait le monde. Il n’est pas comme les esprits ecclésiastiques pour s’incliner devant cette sorte de démonstration. Ce que l’on appela plus tard la désolation d’Avignon, la captivité de Babylone, parut, d’abord, la suite logique et heureuse de ce qui se passait dans la capitale du monde chrétien : puisque la Papauté en était chassée par les passions locales, il était naturel qu’elle se réfugiât près de la seule force capable de la protéger et de la sauver. Après les luttes atroces contre l’Empire allemand, après les déliquescences, plus affreuses

  1. Thode, loc. cit. (I, p. 67).
  2. Mâle, Revue des Deux Mondes, 1er octobre 1903.
  3. Mgr Bougaud, Histoire de sainte Chantal (I, 519).