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Louis d’Anjou, avait traversé la péninsule de part en part pour aller à Naples recueillir la succession de la reine Jeanne et avait poussé jusqu’à Tarente. Beaucoup de ces Français ne revirent pas la France. Mais combien purent rentrer dans leurs foyers et y apportèrent l’écho de la pensée italienne, après qu’ils eurent promené eux-mêmes, à travers toute l’Italie, le « doux parler » qu’avait aimé le maître de Dante et le prestige qu’exerçaient au loin la courtoisie et l’humanité françaises[1]. D’autre part, aux épreuves de la guerre de Cent ans, les troupes italiennes vinrent en aide aux troupes françaises. Jeanne d’Arc, à la dernière étape de sa vie militaire, quand elle se jeta dans Compiègne, était accompagnée d’une troupe d’Italiens.

Comme les prêtres et les soldats, les étudians et les marchands, par un perpétuel va-et-vient à travers les défilés des Alpes ou le long de la Corniche, entretenaient ces rapports constans. Le rayonnement et l’autorité des Universités françaises, surtout de l’Université de Paris, dans les mœurs et dans la foi, est un fait notoire. Pour les marchands, quoi de plus convaincant que ce journal de Morosini qui est un des témoignages les plus précieux de l’opinion contemporaine au sujet de Jeanne d’Arc ? Toutes les preuves de cette vie commune y sont réunies : départs réguliers des galères publiques et privées, déplacemens fréquens des voyageurs, transports assurés, « courriers » traversant, avec une rapidité incroyable, soit le continent, soit les mers, pour apporter et reporter les missives, mouvement de l’argent, ordres, avis, transmis avec autant de ponctualité, sinon autant de promptitude qu’ils peuvent l’être aujourd’hui, et, surtout, étonnant « service d’information, » qui, de tous les points du monde, colporte, concentre et répand les nouvelles soigneusement colligées et contrôlées. Venise, Rome, Avignon, sont au centre d’immenses toiles d’araignées où tout ce qui se passe dans le cercle infini de leurs affaires ou de leur autorité retentit aussitôt. Les courriers viennent de Bruges à Venise, de

  1. L’effet de cette « invasion » fut considérable, sans compter les avantages auxquels la pénurie péninsulaire ne fut pas insensible : « Il y a plus d’or, disait-on, en cette seule armée qu’en toute la ville de Milan ; et c’est une raison, ajoutait Bernabo, pour que les Italiens aient grand intérêt à s’assurer la bienveillance du prince. Ses gens se comportent avec une telle humanité qu’on dirait des compatriotes. » Cet épisode, un peu trop négligé, des relations entre les deux pays a été mis en pleine lumière par mon distingué confrère, M. Valois, dans son ouvrage si remarquable sur le Grand Schisme, t. II, voyez notamment, p. 42 et suiv.