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de Vaucouleurs, vers Robert de Baudricourt, capitaine de cette ville, et qu’il lui donnerait des hommes pour l’accompagner. Elle répondait qu’elle était une pauvre fille qui ne savait ni monter à cheval ni faire la guerre. Elle partit chez son oncle, lui disant qu’elle voulait rester quelque temps chez lui ; elle y demeura environ huit jours ; elle dit, enfin, à son oncle, qu’elle voulait aller à Vaucouleurs et son oncle l’y conduisit.

« Arrivée à Vaucouleurs, elle reconnut Robert de Baudricourt, quoiqu’elle ne l’eût jamais vu : ce fut la voix qui le lui fit reconnaître ; car la voix lui dit qui il était. S’adressant à Robert de Baudricourt, elle lui dit qu’il fallait qu’elle vînt en France. Robert, deux fois, le lui refusa et la repoussa ; mais, la troisième fois, il consentit et lui donna des hommes, et la voix avait dit qu’il en serait ainsi. » Le duc de Lorraine ayant voulu voir Jeanne, elle se rendit auprès de lui. De retour à Vaucouleurs, habillée en costume masculin, portant une épée que lui avait donnée Robert de Baudricourt et nulles autres armes, accompagnée d’un chevalier, d’un écuyer et de quatre servans, elle partit et elle alla coucher à Saint-Urbain. (Procès, I, 53-54.)

Agée de dix-sept à dix-huit ans, belle fille, grande et forte, le cou rond, la gorge pleine, le visage riant, les cheveux noirs, parlant peu, mais aisément, la voix douce et très féminine, sobre, chaste, pieuse, toujours gaie, toujours vive, décidée et prompte, sans hésitation et sans peur, mais mesurée et prudente, hardie et contenue, exerçant, sur les hommes, cette prise des âmes supérieures, l’ascendant, telle était la fille extraordinaire, « la bergerette, » pour employer sa propre expression, qui partait de son village pour sauver le royaume de France.

Elle allait, pleine de confiance et d’entrain, car elle ne faisait qu’obéir à « la voix. »


GABRIEL HANOTAUX.