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du Misanthrope, de Mahomet. En revanche, il ne voudrait pas qu’on les conduisît, lui et le Duc de Montpensier, aux bals costumés que donne la Duchesse de Berry. Mauvaise école pour les enfans ! La magnificence de la Cour les éblouit et leur fait trouver fades les simples distractions de la maison paternelle. Et puis, l’adulation commence déjà pour eux. Les autres enfans les flattent, afin d’obtenir un jour leurs bonnes grâces. Cuvillier-Fleury ne connaît pas de plus grand danger. Si les princes s’habituent à être flattés, s’ils laissent ce poison pénétrer dans leurs veines, ils ne se guériront jamais de leurs défauts. Quant à lui, il est bien décidé à ne dire que la vérité. Il vient d’apprendre par un exemple comment on peut fausser l’esprit d’un prince. En 1829, le roi Charles X interrogeait son petit-fils, le Duc de Bordeaux, et lui demandait quelques détails sur la bataille de Marengo. L’enfant répondit sans hésiter, à la grande stupéfaction et à la grande colère du Roi : « La bataille de Marengo a été gagnée par Louis XVIII qui avait confié à un général nommé Bonaparte le commandement de ses troupes ; le général manqua à ses devoirs, il fut proscrit et renfermé dans une île déserte où il mourut. »

Les fils de Louis-Philippe devaient être élevés dans un tout autre esprit. Ils respiraient évidemment dans la maison de leur père les idées libérales qui y régnaient, ils entendaient les discours qu’y tenaient les chefs de l’opposition. Tant que dura le règne de Charles X, tout cela demeurait platonique, dans le domaine des idées. La première fois que les princes se heurtèrent aux réalités de la politique, ce fut pendant les journées de Juillet 1830. À cette date, la famille était, comme d’habitude, installée à Neuilly. C’est là qu’elle apprit avec consternation la signature des Ordonnances. « Dès ce moment toutes les habitudes paisibles et régulières de la maison furent changées, les études interrompues. Les pauvres enfans, qui ne comprenaient rien à la Charte et aux Ordonnances, comprirent cependant, aux paroles attristées de leurs parens et à l’inquiétude peinte sur leurs visages, qu’il se passait quelque chose de grave. » On leur expliqua que les journalistes se préparaient aux résistances sérieuses, et ils prirent ainsi leur première leçon de politique active. Autour d’eux on faisait des vœux pour le succès des insurgés ; mais dans l’éloignement où on se trouvait des événemens, au milieu du conflit des nouvelles contradictoires, personne