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exerce. Aucun officier ne donne plus que lui l’exemple de l’endurance et du courage. C’est, en effet, à cette date, la grande passion de sa vie. Ce sont les souvenirs vers lesquels il se reportera le plus volontiers à la fin de son existence. Les campagnes d’Afrique resteront le point lumineux et glorieux de sa noble carrière. Si vous lui aviez demandé ce qu’il aimait le mieux au monde, il vous aurait répondu : l’armée française ; le rôle qu’il aurait préféré dans la mêlée humaine, il vous aurait répondu : commander des soldats français. Mais le soldat n’étouffe en lui ni le fils, ni le frère, ni l’ami, ni le penseur, ni le lettré délicat, ni l’homme de goût et l’artiste. Le grand charme de sa correspondance avec Cuvillier-Fleury, correspondance poursuivie pendant de si longues années, c’est la justesse du ton des interlocuteurs. Tous deux restent dans la note. Le précepteur plus grave, quelquefois un peu prêcheur ; le prince avec tout le feu de la jeunesse, plein de vie, passionné pour ce qu’il fait si bien, mais attentif en même temps à tout ce qui honore le génie français, épris d’un vers de Musset ou de Victor Hugo aussi bien que d’un tableau de Delacroix. Sur ce point d’ailleurs le précepteur ne le laisse pas s’endormir. Très peu militaire au fond, effrayé de tout ce qui ressemble à la guerre, il ramène constamment son élève aux pensées et aux occupations pacifiques. L’Algérie qu’il n’a fait qu’entrevoir, où il s’est du reste fort ennuyé, lui apparaît comme une source de dangers permanens. Chaque pas que le prince fait en avant le remplit d’inquiétude en même temps que d’orgueil. Il ne voudrait pas le retenir, il sent bien que l’honneur et le devoir sont là, il donne même des conseils très judicieux sur le rôle qu’un prince doit jouer au milieu des troupes, sur la nécessité de tenir son rang, de représenter avec éclat la famille royale sans blesser la susceptibilité des compagnons d’armes. Il a beau faire pour paraître s’intéresser au fond des choses, on voit bien tout de même que ce qui l’intéresse dans une campagne d’Afrique, c’est la personne du Duc d’Aumale bien plus que les événemens.

Le précepteur qui a pleuré en quittant son élève souffre de l’éloignement ; la terre d’Algérie lui a pris le grand attrait de son existence et les joies de la vie conjugale ne le consolent qu’imparfaitement. Le prince au contraire marche devant lui avec l’enthousiasme de ses dix-neuf ans, il a trouvé sa voie, toutes ses lettres respirent la joie de vivre et d’agir, de se battre