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vous avoir causé tant de mal ? Que cette lettre ne peut-elle vous arriver de suite ! ah ! que je serais soulagé. Mais, de grâce, je suis accablé de ce qui se passe, laissez-moi respirer un peu moins péniblement. Soignez bien madame et la bonne Julie aux pieds desquelles je me jette et aux vôtres, monsieur, bien persuadé que je ne mérite pas les pardons que je vous demande. Je souffre cruellement sur vous, mes trop bons amis.

« INGRES. »


Puis, plus rien... Ingres était mort pour la famille Forestier.

Mais M. Forestier et Ingres père échangeaient des lettres, dans le même temps. M. Forestier, au mois de juillet, avait envoyé à Montauban une copie du portrait laissé à Paris, où Julie, on l’imagine sans peine, dut apporter les soins les plus tendres. À cette copie s’ajoutaient les deux vues de la Villa Médicis et de San Gaëtano, copiées également par la douce Julie : le brave ornemaniste reçut ce triple envoi avec une joie infinie. La lettre de M. Forestier qui l’annonçait était bien quelque peu pessimiste. Elle donnait à entendre qu’Ingres s’attardait à Rome et qu’il y oubliait apparemment les sermens échangés. Ingres père, s’il tenait à l’honneur du mariage annoncé, avait bien plus à cœur la gloire artistique de son fils et il ne pouvait le blâmer de prolonger son séjour à la Villa Médicis jusqu’à l’exécution d’une œuvre forte. Et, d’ailleurs, M. Forestier, impressionné par les critiques du Salon de 1806, n’avait-il pas été du même avis sur la nécessité, pour Ingrou, de faire ses preuves, et de les rapporter de Rome ? « Allons, monsieur Forestier, soyez raisonnable... » On lit cela entre les lignes de la lettre à M. Forestier, écrite de Montauban, le 9 août 1807, le jour même où partait de Rome la dernière lettre, la suprême lettre d’adieu !


« Montauban, le 9 août 1807.

« Monsieur,

« J’ai reçu en son temps la caisse que vous m’avez annoncée par votre chère lettre du mois dernier, contenant une copie du portrait de mon fils et deux vues de Rome. Quoique j’attendisse beaucoup du talent de mademoiselle votre fille, je puis dire qu’il surpasse l’idée que j’en avais conçue. Qui copie de cette manière doit certainement composer avec ce génie qui caractérise les grands artistes. Tout concourt à me rendre cher ce portrait, et celui qu’il représente et la main qui a bien voulu le tracer. Recevez-en