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manifester en cette occasion. Impossible, aujourd’hui encore, d’ouvrir un journal sans y rencontrer une mention nouvelle de ce qu’on est convenu d’appeler le Proto-Meister, c’est-à-dire la première version du roman refondu ensuite par Gœthe sous le titre de : Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister. Un bruyant débat s’est engagé touchant la propriété littéraire du manuscrit de ce « brouillon, » dont on prévoit que la vente rapportera des bénéfices énormes dès le jour où les tribunaux auront enfin décidé si le droit de publication appartient aux héritiers du poète, ou aux possesseurs présens du manuscrit. Et, en attendant, il a suffi à M. Billeter de publier un petit nombre d’extraits de ce manuscrit, ou plutôt une simple série de passages effacés jadis par Gœthe dans l’édition imprimée de son roman, pour que ce recueil de « variantes » se débitât sur-le-champ à de nombreux milliers d’exemplaires, pénétrant jusque dans les moindres villages de Bavière, de Saxe, ou de WestphaUe, et y prenant place à côté de l’inévitable collection, populaire ou savante, des Œuvres Complètes de l’auteur de Faust.

Les circonstances qui ont amené la découverte de ce manuscrit, dorénavant « historique, » sont d’ailleurs assez curieuses pour mériter d’être rapportées. M. Gustave Billeter, dont le nom est aujourd’hui en train de devenir presque aussi célèbre que celui du poète « olympien » de Weimar, enseignait modestement les humanités allemandes aux élèves du « gymnase, » ou lycée, de Zurich, lorsque l’un de ces élèves, au mois de décembre de l’année passée, est venu lui soumettre un volumineux cahier manuscrit que ses parens gardaient avec une foule d’autres papiers de famille, et sur l’enveloppe duquel étaient écrits ces mots : « Manuscrit des Souffrances du jeune Werther, de Gœthe. » Un coup d’œil jeté sur le texte du cahier a fait comprendre au professeur que cette inscription était erronée : le manuscrit n’avait rien de commun avec Werther, et, de plus, n’était sûrement pas de la main de Gœthe. On peut seulement s’étonner que M. Billeter, avec la ferveur « gœthéenne » dont il se dit embrasé, n’ait pas reconnu tout de suite que le cahier de son élève parlait constamment de Wilhelm Meister, à défaut de Werther, et cependant débutait par des chapitres entièrement différens de ceux qui, dans l’édition définitive, inaugurent le récit des « années d’apprentissage » de ce jeune héros. En fait, s’il ne nous assurait point de son culte exalté pour le roman de Gœthe, nous le soupçonnerions de n’avoir retenu qu’un souvenir assez vague de cet ouvrage éminemment « difficile, » et, ainsi, d’avoir supposé d’abord que le manuscrit concordait de tous points avec le