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que, sans doute, la version définitive des Années d’apprentissage de Wilhelm Meister répondait mieux aux dispositions actuelles du poète, et peut-être même offrait à ses yeux plus d’unité et de beauté artistique, — bien que nous ayons peine, aujourd’hui, à apprécier l’idéal que pouvait réaliser un ouvrage aussi abondant et désordonné : — mais au point de vue de l’expression personnelle, tout porte à croire que l’ancienne version était plus spontanée, plus riche en confessions littéraires ou sentimentales, plus intéressante pour le biographe, sinon pour le critique et l’esthéticien. Goethe, incontestablement, y avait mis une plus grosse part de ce cœur dont il devait ensuite s’attacher à ne rien introduire, au moins directement, dans son art. Et par là s’explique l’extrême curiosité avec laquelle, dès le premier jour, lettrés et public allemands ont accueilli les révélations de M. Billeter.


Wilhelm Meister, on le sait, est le roman où figure le gracieux épisode de Mignon ; et la conférence de M. Maync nous apprend que cet épisode se trouve déjà dans le manuscrit de Zurich, avec la fameuse chanson de Mignon : « Connais-tu le pays où fleurissent les citronniers ? » ainsi que tous les autres petits poèmes, — peut-être les plus beaux de la langue allemande, — qui, même en Allemagne, ont plus puissamment contribué à la renommée du roman de Goethe que les longs et fastidieux récits au milieu desquels jaillissent, par instans, ces exquises chansons. Mais les deux premiers « livres » du manuscrit de Barbe Schulthess, seuls publiés par M. Billeter, et formant environ un tiers des six grands « livres » de la rédaction primitive, ne nous permettent point de juger des changemens que l’auteur a apportés, plus tard, à la forme originale de cette touchante histoire de Mignon, — demeurée éminemment « romantique, » sous son affabulation quelque peu enfantine, jusque dans la refonte de 1794. Force nous est donc de nous en tenir à la partie du roman dont nous possédons la double version, c’est-à-dire à l’espèce de prologue où Goethe nous raconte les premiers déboires amoureux de son héros et la naissance en lui de cette « vocation dramatique » qu’il va nous montrer, ensuite, se développant durant ses « années d’apprentissage. »

Dans l’édition définitive, Wilhelm Meister nous est présenté dès le début comme un jeune négociant passionné de théâtre, et ayant déjà pour maîtresse la belle et coquette Marianne, l’actrice dont bientôt les infidélités creuseront, dans son cœur, un abîme infini de souffrance et de désillusion. C’est seulement au courant des chapitres du premier