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son royaume et que nous devenions Anglais ? » Mais elle s’explique si droitement et si chaleureusement, qu’à la fin, il est convaincu, il lui touche la main et lui jure qu’il la conduira vers le Roi… — « Mais quand partira-t-on ? — Le plus tôt possible, plutôt aujourd’hui que demain et plutôt demain qu’après-demain. » Et tout est mis en mouvement. (II, 436.) Robert de Baudricourt suit le courant. Il est entraîné par la confiance qu’elle répand autour d’elle et qui gagne de proche en proche.

Les choses s’enchaînent : voici qu’une autre preuve, un acte nouveau, sert de point d’appui à la persuasion graduelle qu’il faut imposer à la Cour : c’est le voyage. Jeanne, avec sa petite troupe, traverse à cheval toute la France, sans courir le moindre risque, malgré le grand nombre des partisans et des brigands tenant les chemins ; on cria au miracle. Sa conduite, sa discrétion, sa piété, sa charité, sa chasteté fière persuadèrent d’abord ses compagnons de voyage, les premiers témoins de cette Hégire, ceux qui affirment, d’abord, qu’elle est réellement envoyée de Dieu[1].

Ils propagent la conviction dans les villes où ils passent, chez ceux qui les questionnent à la Cour. Ils préparent le terrain par leurs dires sincères. Sa réputation d’honnêteté, de candeur, la précède. Il y a, en elle, des choses qui tiennent du prodige. La Cour et le roi Charles sont ébranlés avant d’être touchés. Elle arrive. Elle se déclare « envoyée de Dieu ; » elle affirme la légitimité de l’héritier des lys ; elle promet la délivrance d’Orléans, le couronnement ; en un mot, elle désigne l’acte et le rend possible en l’affirmant. Elle paraît bien avoir, la première, l’idée du sacre à Reims. La simplicité et la force de cet avis ne peuvent que frapper. Et puis, les clercs de Poitiers « ne trouvent que du bien en elle. » A tout le monde, elle parle résolument, gaiement, familièrement, comme elle fait au Duc d’Alençon. Il était à la chasse aux cailles ; le Roi le fait venir pour qu’il rencontre la Pucelle. Elle va vers lui, lui demande son nom ; le Roi lui-même dit : « C’est le Duc d’Alençon ; » et, aussitôt : « Vous, soyez le bienvenu, plus il y aura ici du sang de France, mieux cela vaudra. » (III, 91.) Non moins vivement au frère Séguin qui veut savoir si ses voix parlent français : « Mieux que vous, assurément, »répond-elle au docteur limousin.

  1. Voyez la déposition de ses compagnons de route, Novellompont et Poulengy. (II, 437 et 457.)