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extraordinaires, les remous d’histoire infinis qui se sont produits et qui se développeront sans cesse, c’est, vraiment, un événement au-dessus des forces et des choses humaines. Le temps qui la vit, les siècles qui suivirent s’épuisent à l’expliquer.

Une explication quelconque est-elle possible ? Cette explication, est-il nécessaire de la tenter ? La nature, la vie, le monde visible et invisible cachent à l’homme assez de secrets pour qu’il se résigne à ignorer celui-là. Les défaillances, les insuffisances, les impuissances trop notoires de la raison n’enseignent-elles pas la vanité de certaines interprétations des faits dites « rationnelles ? » Quant aux décisions de la foi, elles ne relèvent que de la foi.

Entre la raison et la foi, l’esprit humain doit-il nécessairement prendre parti ? Les postulats imposés à notre raison sont des actes de foi, et si on supprimait de la science la foi, il lui manquerait justement sa base. Entre la raison et la foi, il n’y a ni contradiction, ni combat nécessaire. Il est d’une très haute raison d’accepter la foi, et la foi fait sans cesse appel à la raison ; selon la formule scolastique, « la foi cherche l’intelligence et l’intelligence trouve la foi. »

En ce qui concerne Jeanne d’Arc, la lutte reste vive entre croyans et non-croyans. Mais il est permis de penser qu’une parole de conciliation et d’harmonie se dégagera, un jour, de l’ardeur même des convictions. La sincérité, fille du temps, se refusera à défigurer, au gré des passions d’un jour, une des plus belles images de l’histoire. Elle groupera, autour d’une adhésion simple, tous ceux qui aiment le beau, c’est-à-dire la vérité.

Voici donc les explications : il y eut, dans le siècle de Jeanne d’Arc et de son vivant, trois opinions, trois systèmes : 1° l’explication populaire française, répandue et acceptée, avec une spontanéité incroyable, très loin et très vite à l’étranger[1] : Jeanne est une thaumaturge ; Dieu lui a donné, avec la sainteté, une délégation de la puissance divine ; 2° la thèse des juges et des adversaires : Jeanne est inspirée du diable et de l’esprit malin ; elle est suspecte et peut passer pour sorcière ; en tous cas simulée, blasphématrice, hérétique et, à la fin, relapse et apostate. Le mieux qu’on en puisse penser est qu’elle a été suscitée

  1. Voyez Germain Lefèvre-Pontalis : les Sources allemandes de l’histoire de Jeanne d’Arc.