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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/513

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indicible ; elle ne pouvait comprendre cette angoisse de mort qui précédait, en elle, une parturition.

Il serait facile de tracer un tableau où mille traits accumulés feraient preuve. A quoi bon, puisqu’on peut apporter la haute et véhémente attestation de ceux qui vécurent ces temps uniques ?

Deux hommes dont l’existence « couvre » tout le XVe siècle, et les premières années du XVIe, G. Chastellain et Jean Mollinet n’ont pu contenir leur admiration pour« les merveilles advenues en ce temps. » L’un commença, l’autre continua, dans une forme destinée, par son rythme monotone, à pénétrer dans les esprits populaires, une « recollection » de ces choses, les unes « piteuses, » les autres « douteuses, » les autres « étranges et passant le sens humain, » dont ils furent les témoins[1].

La complainte raconte les misères de Rome, les violences d’Angleterre, les troubles de France, les fortunes et infortunes des grands personnages, les révolutions qu’un tel désordre cause de par l’univers :


Passant par Angleterre,
Je vis, en grand tourment,
Les seigneurs de la Terre
S’entretuer forment ;
Avec un tel déluge
Qui cœurs ébahissait
Qu’à peine y eut refuge
Où mort n’apparaissait.


La fin du monde approche :


J’ai vu comète horrible
Comme verge pointant,
Épouvantable, terrible,
Grande, folle et ardant.


La terre tremble :


J’ay vu peuple confondre
Et royaume trembler
Châteaux et villes fondre
Et cités s’abîmer.

  1. Christine de Pisan obéissait à un sentiment analogue lorsqu’elle écrivait, dès 1403, son poème allégorique et moral de la Mutation de Fortune, où elle relate abondamment les vicissitudes du sort des hommes et les caprices de la Destinée. Et, déjà, Boccace avait écrit, dans le même esprit, ses biographies des hommes illustres, qui furent si répandues et si goûtées au siècle suivant.